Musique : les Atalakus et Vous

Popularisé à l’aube des années 80, par l’orchestre Zaïko Langa-Langa, le phénomène Atalaku connait un véritable essor, depuis un certain temps. Né dans le sillage de la rumba, le phénomène a depuis pris de l’ampleur, conquérant progressivement d’autres genres musicaux, comme le soukouss, le zouglou, le zouk, l’afro pop.…Mais plus improbable encore, on le retrouve dans d’autres domaines, tels que la politique ou la Sape.

Mais qui sont donc ces mousquetaires du maracas, devenus quasiment des figures imposées, dans l’orchestration de certains genres musicaux ?

Les Atalakus sont un genre particulier de chanteurs, qui ont pour métier de créer, d’amplifier ou d’« endiabler » l’ambiance, par la scansion de cris enjoués et arrimés à la musique, en vue  d’en renforcer l’impact. Pouvant être comparés à la cravache du cheval, par la similitude des effets escomptés sur leur cible respective, que sont ici les chanteurs, les instrumentistes et le public, ils opèrent comme des stimuli d’adrénaline, dont le but est de survolter les émotions.

Le mot Atalaku découle de la contraction de l’expression kongo « tala eku », composé du verbe « tala » (qui signifie, regarde, conjugué à la première personne du présent de l’impératif), et de l’adverbe « eku » (qui signifie, ici). L’union des deux termes donnant : « regarde ici ». Dès lors, l’enjeu est clair : être le point de mire d’un espace donné, faire le faraud ou le paon.

L’ancêtre de ce personnage semble être cet animateur extatique, qui s’illustrait jadis dans les groupes folkloriques Kongo, paré du ntsakala, instrument précurseur du maracas. Rappelant la mouche du coche des fables de La Fontaine, il pousse la communauté des participants à un spectacle, à plus d’ardeur, à la sublimation de soi, pour le rendre plus entrainant, plus explosif. Se servant régulièrement des louanges, il évoque, mutatis mutandis le « Ndjimi » des sociétés tékés, le « Ololo » des sociétés Mbochi, voire le griot d’Afrique de l’Ouest.

  • Le « pyromane » des scènes.

Souffler sur les braises de l’ambiance, telle est la principale mission des Atalakus, qui se distinguent notoirement dans les « génériques » des opus, dont ils ouvrent souvent les plages. Agissant comme les lunes sur les marées, ils visent à élever la pression, surtout dans la séquence la plus dansante, dite des « Sébènes ». Celle qui traditionnellement succède aux couplets et aux refrains, du moins dans la structuration classique de la rumba.

Dans cette phase à dominante instrumentale, les roucoulades de l’Atalaku apporteront cette touche humaine, qu’est la voix, si chère aux sociétés bantoues, encore marquées par l’oralité. Pour syncoper le rythme, en temps forts et temps faibles et garder la vivacité des sens, il va jouer de ses inflexions et embardées vocales, dont il a le secret, avec, souvent la complicité des instrumentistes, notamment du drummer et du soliste.

Dans Zaïko Langa-Langa par exemple, les deux premiers Atalakus, Nono Monzuluku et Bébé Manzeku œuvraient en triade avec les solistes Roxy, Béniko et les drummers Méridjo et Ilo Pablo. La même mécanique est aujourd’hui à l’œuvre dans l’orchestre Extra-Musica Nouvel Horizon, entre l’Atalaku Zaparo de Guerre, le drummer Ramatoulaye et le redoutable soliste Sonor Digital.

  • L’encenseur social.

Depuis l’avènement du numérique, le disque « matériel » est tombé en désuétude. Cataclysmique, cette situation est un coup dur porté aux musiciens. Elle leur prive d’une source majeure de revenus, de surcroit à un moment où les concerts qui auraient pu compenser la perte, sont frappés d’interdit, à cause de l’épidémie du covid19. Pris de court et à la gorge, mais fort heureusement opportunistes, les musiciens vont se mettre à exploiter le filon émergeant du panégyrique, de l’atalakulisme, pourrait-on dire. L’atalakulisme, ce besoin de visibilité, qui s’exprime dans une société de plus en plus sensible à l’image. Ainsi, en politique par exemple, entendons-nous parler de l’Atalaku du pouvoir (apologiste du pouvoir).

Devenu rentable, la fonction gagne ses lettres de noblesse. Jadis dévolu aux « subalternes », la fonction fait désormais saliver tout le monde, jusqu’aux leaders, dont certains en feront d’ailleurs leur chasse gardée. De Roga-Roga à Koffi Olomidé, en passant par JB Mpiana ou Werrason…tous ont fini par y succomber. Lançant dans leurs chansons, comme dans leurs interventions médiatiques, des noms en cascade, exactement comme on jetterait les pierres. D’où le nom de « mabangas », pierres en lingala, donné à cette pratique. La rumeur prétend que l’interdiction que Roga-Roga aurait infligée à ses musiciens de lancer de « ces pierres précieuses », pour s’en réserver l’exclusivité, serait le détonateur direct de l’hémorragie des musiciens, qui a abouti à la création de l’orchestre Extra-Musica Nouvel Horizon !

Telle une pieuvre, l’Atalaku ne cesse de s’étendre, dans l’ignorance totale de la barrière des espèces, atteignant jusqu’au dandysme ou la « Sape », tout aussi friands de paillettes que de lumière. A croire que l’étoffe a horreur du silence ! Comme semble l’indiquer le médiatique habilleur de la marque Connivence, Jocelyn Armel le Bachelor, qu’on présente comme un des leaders de la Sape, autant que du discours qui la valorise, le « nkelo », en français, joute oratoire.

L’Afrique de l’ouest, n’est pas en reste. On y voit émerger un nouveau genre de postulant à la célébrité : le faroteur, faro-faro. Mot nouchi (français argotique ivoirien), dérivant, sans doute de « faire le faraud », comme vu précédemment. Lui, veut impressionner par sa prodigalité ostentatoire. Ses théâtres d’opération favoris étant les boites de nuit et les fêtes. Il y distribue avec éclats, des espèces sonnantes et trébuchantes, souvent sous la criée du disc-jockey, devenu Atalaku de circonstance. Ce phénomène existe aussi en France, dans certains milieux des jeunes, où cette exhibition s’appelle « faire la mala »

Tout compte fait, dans nos sociétés actuelles, où la communication, autant que les apparences montent en puissance, la prise de la parole s’apparente de plus en plus à une prise du pouvoir. De ce fait, les Atalakus, dont le rôle s’est renforcé, au fil du temps, disposent d’une réelle opportunité. Cependant, sur le chemin du progrès, qui leur sourit ainsi, ils devraient toujours se souvenir de leur responsabilité sociale, en respectant une certaine éthique.

Guy Francis TSIEHELA

Chroniqueur musical

 

 

 

 

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