Musique : Du rififi chez les stars !

La sphère musicale congolaise est depuis un certain temps le théâtre d’une sale guerre : celle des stars. Censées rayonner par le spectacle, certaines de ces célébrités brillent davantage dans des polémiques stériles, souvent par médias interposés, où trahissant leur vocation, ils viennent se crêper le chignon, avec la bénédiction d’une certaine presse, qui en fait ses choux gras.

Fratricide et abaissante, cette guerre affecte la société, en portant atteinte à l’image de ce qu’elle a de plus populaire : la musique. En effet, celle-ci pourrait, réveiller les vieux démons d’infamie, qui furent, jadis associés à la musique. Du moins à une certaine musique, comme les musiques afro-latines, dont la Rumba. L’on sait que ces genres ont longtemps souffert d’une mauvaise auréole, dite de marginalité sociale, pointée par certains auteurs dans leurs travaux, et qui reléguait socialement les musiciens. (Par exemple, Fabrice Hatem : une exploration des liens entre musiques afro-latines, marginalité sociale et délinquance).

Du fait de cette auréole, combien de parents n’ont-ils pas dissuadé leurs enfants de faire de la musique une profession ?  Du fait de cette auréole toujours, combien de parents n’ont-ils pas refusé la main de leur fille à un musicien ?

À l’heure où la musique a acquis ses lettres de noblesse, grâce à l’exemplarité de certaines carrières, devenues pour la jeunesse des modèles, et à l’heure où la Rumba a fait son entrée au patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’UNESCO, cette image s’est considérablement améliorée. Pourquoi, diantre par leur vilénie, certains musiciens se mettent-ils ainsi à saper toutes ces belles avancées ?

La musique est un état d’esprit.

Si la musique est divertissement, elle doit être aussi élévation. Elle implique tout un imaginaire positif, que les protagonistes de ces guerres déshonorent : paix, tolérance, bienveillance, élégance, ouverture d’esprit …C’est aussi peut-être pour cela qu’on dit de la musique qu’elle adoucit les mœurs !

Toutefois, si les lieux de culture sont censés cultiver ces valeurs, il n’empêche qu’ils soient aussi naturellement des terrains de compétition. Et ces compétitions, aussi longtemps qu’elles restent saines, doivent être encouragées, car elles sont le ferment de l’émulation, nécessaire au progrès des arts. Or ce qui est servi au public, à longueur de journée par la presse et les réseaux sociaux n’a rien de tel. Il s’agit de parades d’égos surdimensionnés, faites de bric et de broc, où l’insultes et l’exhibition de signes extérieures de richesse prennent le pas sur la musique, pour faire le buzz. Où est le sérieux ?

Pourtant, le musicien dispose de toute une panoplie de moyens nobles, reçue en héritage de leurs ainés, pour s’exprimer. La chanson, à l’instar du stylo pour l’écrivain en fait partie. D’où, d’ailleurs, l’émergence, très tôt dans la Rumba d’un genre satirique, dit « bimbouakela », terme lingala signifiant « pique », en français. Dans ce genre, les auteurs se règlent les comptes souvent  subtilement, mais suffisamment assez pour que la cible et le public devinent. Grand chroniqueur social de son époque, Luambo Makiadi s’était taillé une solide réputation en la matière. La rumeur veut, par exemple que sa chanson Chicotte, sortie en 1966, dans Ok Jazz, soit une riposte à son ami Kwami Munsi, qui l’aurait attaqué, en amont dans Faux millionnaire dans Africa Fiesta. La rumeur tient pareillement pour « Bimbouekela » la chanson Loufoulakari de Youlou Mabiala (fils spirituel de Luambo Makiadi), que celui-ci aurait adressée à Serge Nlevo Kiambukuta, son ex sociétaire, parti monnayer ses talents chez Verckys Kiamuangana. Piqué à vif, c’est le cas de le dire, ce dernier aurait répliqué dans Monsieur Raison. Si se titiller fait partie des règles du jeu, pourquoi ne pas le faire dans les règles de l’art !

Les Fans clubs : caisse de résonance de leurs idoles ?

Souvent s’en mêlent aussi les fan-clubs ! Ce sont des groupes formels ou informels de soutien multiforme aux musiciens. Constitués de fanatiques partageant les mêmes idoles, ces clubs contribuent pour beaucoup à la promotion de celles-ci. On en a connu de plus vertueux, tel que le club Kallé de Brazzaville, dont l’aide allait jusqu’à la composition de chansons, qui étaient données ensuite pour interprétation à leur idole, Joseph Kabasele. Mais, comme tout fanatisme, celui-ci peut vite dégénérer. Surtout dans les circonstances actuelles de la sphère musicale des deux Congo, devenue véritablement une poudrière, que la moindre étincelle suffit à embraser. « Il n’y a qu’un pas du fanatisme à la barbarie », avait dit Dénis Diderot. Et ce déferlement de violence dans la presse, débordant parfois dans la rue semble lui donner raison, malheureusement. Le dernier évènement en date, étant le concert de Fally Ipupa, au stade des Martyrs de Kinshasa, le 29 octobre 2022, qui a donné lieu à quelques scènes de quasi-houliganisme, comme on peut le voir vulgairement au football. Comment pouvait-il en être autrement, lorsque d’autres concerts, devenus de fait rivaux, se jouaient le même jour ? Celui de Céleo Scram, ex animateur chez Werrason et de Koffi Olomidé, qui, certes se tenait à l’étranger, au Botswana.

Le Congo-Brazzaville, n’est pas en reste. Les mêmes causent produisant les mêmes effets, des querelles similaires opposent régulièrement les musiciens et les fans d’Extra Musica Zangul de Roga-Roga à ceux d’Extra Musica Nouvel Horizon, qui n’osent plus se regarder. Même en peinture !

Prosaïquement, mais tout aussi évocateurs sont les surnoms que s’attribuent les musiciens, dont bon nombre relèvent du champ lexical de guerre. D’ailleurs, les noms de leurs albums sont aussi à l’avenant : Etat major, Nouveaux missiles, Force de frappe, Rambo, Ultimatum, Anti terro, Pentagone …Et ce, alors même qu’ils ne cessent de chanter l’amour. Cherchez l’erreur !

Au regard de ces enjeux, une désescalade s’impose. La musique étant omniprésente au sein de nos sociétés, avec l’impact qu’on peut imaginer, notamment auprès des jeunes, il est impératif que ceux qui la font aient un comportement responsable. Institutionnellement, il est souhaitable que les entités qui les rassemblent, à l’instar des ordres professionnels, s’emparent de ce sujet, afin de recadrer leurs adhérents. Il y a urgence !

Guy Francis TSIEHELA

Chroniqueur musical

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