Art : l’Afrique doit s’approprier son patrimoine artistique
Connaissez-vous la parabole des talents ? Racontée dans l’Évangile selon Mattieu, elle évoque comment un maître confie cinq, deux puis un talent à chacun de ses serviteurs avant de partir en voyage. À son retour, le premier a gagné cinq autres talents, le second deux. Quant au dernier, la peur lui fit cacher ce talent afin de le restituer en l’état à son maître. Au retour de celui-ci, le serviteur ayant caché le talent, se le vit retirer par son maître. Il décida de le confier à celui ayant dix au total et dit ceci :« À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a ». Ceci vous semble une évidence ?
Le pillage des œuvres d’art traditionnelles
Pourtant aujourd’hui, en matière d’art et de culture, trop peu d’efforts sont entrepris par les pays africains ou les collectionneurs autochtones pour valoriser le patrimoine de ce continent qui est le berceau de l’humanité. Les richesses naturelles du continent ont été et sont toujours exploitées par nombre de pays occidentaux. Leur mainmise sur de nombreux territoires, au gré des colonisations, a été l’occasion de s’approprier un nombre important de richesses culturelles. En effet, on ne compte plus les musées exposant statues, masques, peintures rupestres ou tapisseries, témoins de l’histoire des différents pays dont ils proviennent et de leurs traditions. La colonisation des pays européens a conduit à un vrai pillage des œuvres d’art traditionnelles. Le Musée de l’Homme à Paris, le British Museum à Londres ou le Musée Royal de Tervuren en Belgique, sont autant de vitrines présentant des collections arrachées au territoire africain. On aurait pu croire que l’indépendance des pays africains, intervenue à partir des années 60, aurait inversé la tendance. Il n’en est rien : le pillage colonial a laissé place aux trafics illicites.
Des antiquaires et collectionneurs sans scrupules
Antiquaires peu scrupuleux, collectionneurs peu regardants, autorités fermant les yeux, nombreux sont les complices de ce trafic d’œuvres d’art, juteux pour ses participants, et qui poignarde en plein cœur le tissu culturel de nombreuses nations. Comme le mentionnait Mahamoudou Ouedraogo, ministre de la culture, des arts et du tourisme du Burkina Faso lors d’une allocution devant le sénat français en 2003 : « Un bien culturel volé est une âme de perdue ». Quinze ans plus tard, plusieurs acteurs du marché de l’art et de la culture africains revendiquent le retour des œuvres subtilisées à l’occasion de la colonisation. Cette demande, entendue par le Président Emmanuel Macron lors de son discours du 28 novembre 2017 à Ouagadougou, doit être un élément déclencheur : « Le premier remède c’est la culture, dans ce domaine, je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France ».
Les raisons d’espérer
Aujourd’hui, si la législation prend du temps à concrétiser cette volonté, l’on peut tout au moins se féliciter que la machine soit en marche. C’est qu’en 2020, l’art africain n’a cessé de gagner en popularité. Et pas seulement l’art africain traditionnel : de Londres à Paris, de Casablanca à Dakar, l’art contemporain africain se montre sous son plus beau jour et attire les foules. Les capitales africaines voient aussi apparaître de plus en plus de galeries, mettant en valeur le travail d’artistes comme Chéri Samba, Chéri Chérin ou le jeune Eddy Ilunga Kamuanga, fer de lance de la nouvelle peinture congolaise. Leurs œuvres se sont négociées à plus de cent mille dollars chez Sotheby’s à Londres en 2019.
Et c’est bien là où le bât blesse : c’est l’arbre qui cache la forêt. La vente d’œuvres au sein du continent africain reste une activité confidentielle, peut-être parce que nombre d’artistes dans le besoin se voient contraint de vendre leurs œuvres rapidement et donc à petit prix. La conséquence est également de les voir s’exiler vers les pays où leurs œuvres sont négociées et où se trouvent les mécènes et collectionneurs fervents de leurs productions. Le marché de l’art contemporain a explosé au cours de cinq dernières années et il est heureux de voir que de plus en plus d’acheteurs africains (Nigérians, Sud-Africains ou Marocains) se font connaître pour compléter leurs collections. Leur action ne peut malheureusement pas s’inscrire dans la durée si elle n’est pas soutenue par les institutions, notamment via l’organisation de manifestations comme des salons, des foires ou la mise en place de subventions, de même que la mise en valeur des artistes au travers des médias. Gardons à l’esprit que l’apogée d’internet permet aujourd’hui à des artistes se trouvant n’importe où dans le monde de se faire connaître via des galeries « virtuelles », fréquentées par de plus en plus d’amateurs d’art.
Une action vigoureuse des autorités et institutions étatiques, soutenue par un engagement des collectionneurs privés et fonds d’investissement, est cruciale pour voir l’art africain (re-)conquérir le sol du continent, berceau de l’humanité. Il appartient à chacun dans son rôle –collectionneur, investisseur ou institution -d’être un acteur de ce renouveau et de le porter avec conviction pour faire fructifier l’ensemble des talents qui lui ont été confiés.
Thierry Rayer
Président du Cercle d’études Scientifiques Rayer