Musique : Kiamuangana Mateta dit Verckys a tiré sa révérence

Le saxophoniste aux poumons d’acier, le Congolais Georges Kiamuangana Mateta dit Verckys, l’un des derniers monuments vivants de la musique du bassin du Congo, a tiré sa révérence le jeudi 13 octobre 2022 à Kinshasa, des suites de maladie. Il avait 78 ans.

Triste, la nouvelle qui s’est répandue comme une trainée de poudre, a semé la désolation, tant dans l’opinion publique, que dans la corporation des musiciens, dont il a toujours été très proche.

L’artiste, qui est l’un des promoteurs majeurs de la Rumba congolaise, ce genre musical qui vient d’être inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, est intimement lié à l’histoire musicale de son pays. En effet, il est l’un des architectes de l’écosystème ayant servi de terreau à l’éclosion des talents et des orchestres dans cet espace. Cumulant les casquettes, son hyper activité avait écrit l’un des « storytelling » les plus loufoques de sa corporation, nourri de toutes sortes de fantasmes et spéculations.

Au sein de sa corporation, où il a chaperonné nombre de musiciens, le coup a été ressenti avec plus d’affliction, même s’il est vrai qu’on le savait souffrant. L’une de ses dernières apparitions publiques remontant au 28 mai 2021 dans l’une des salles de son mythique VEVE center. C’était à l’occasion des festivités marquant son 77ème anniversaire. Là, bon pied, bon œil, devant un parterre d’invités soigneusement triés sur le volet, dont le très respecté Jeannot Bombenga, l’infatigable saxophoniste, s’était livré à sa passion instrumentale, en duo spécial avec sa fille musicienne Ancy Kiamuangana.

Curieux hasard, la disparition de l’artiste, survient au lendemain de la célébration du 33ème  anniversaire de la mort d’une autre icône musicale, de son contemporain, Franco Luambo Makiadi, avec lequel il s’est frotté par le passé, dans l’orchestre TP Ok Jazz. L’orchestre VEVE, dont il fut le patron verra le jour au lendemain de son départ de ce prestigieux groupe, au crépuscule des années 1960.

Un début de carrière au quart de tour.

Né à Kisantu le 19 mai 1944 dans la province du Kongo central en République Démocratique du Congo, l’auteur de la célèbre chanson Nakomitunaka se révèle au grand public en tant que saxophoniste au début des années 50. C’est Isaac Musekiwa qui l’initie au maniement de cet instrument partant des prérequis de la clarinette qu’il avait forgés chez les kibanguistes.

Très apprécié de ses compères, qui l’appelaient affectueusement « l’homme aux poumons d’acier », Verckys a eu un exemplaire parcours d’auteur-compositeur, qui l’a conduit dans plusieurs orchestres : Los Cantina, Jamel Jazz, Congo-Rock de Paul Ebengo Dewayon, puis l’Ok Jazz du grand maitre Franco Luambo Makiadi. Dans ce dernier groupe, il signa de nombreuses chansons, dont Bolingo ya bougie, Oh Mme de la maison, Ngai marie nzoto ebeba… À la suite de quelques démêlées avec son compère, l’homme quittera le navire pour d’autres aventures.

Le spécialiste du mélange des genres

Exclu de l’orchestre Ok Jazz en 1969 semble-t-il pour accusation d’enregistrements dissimulés, l’homme choisit de monter son propre groupe : l’orchestre VEVE. Celui-ci démarre sur les chapeaux de roue avec des musiciens talentueux tels que : Sinatra Bonga Tshekabu dit Saak Saakul, Loko Massengo « Djeskin », Mario Matadidi, Bovick Ye Bondo…Mais, l’élan est brisé par un coup dur : Matadidi, Djeskin et Sinatra, les trois musiciens vedettes de l’orchestre font défection. Ils rêvent d’un meilleur, qu’ils croient pouvoir trouver dans une carrière de patron. De là naquit le mythique SOSOLISO du trio MADJESI, acronyme découlant de Matadidi, Djeskin et Sinatra.

Entretemps, Verckys avait déjà eu l’occasion de refaire parler de lui, grâce, notamment à un chef d’œuvre de portée politique : « Nakomitunaka ». Une sorte de réplique au clergé catholique, en croisade contre la politique de l’authenticité du président Mobutu.  Aux airs de complainte, la chanson pointe les représentations de domination raciale peuplant les manuels destinés au public, à commencer par la bible. Pourquoi le noir symbolise-t-il toujours le mal, à l’opposé du blanc qui, lui est symbole de bien, s’interroge-t-il, faussement naïf ?

Dans la foulée de sa vie de musicien, l’artiste touche à tout : production musicale, mécénat et management musicaux, commerce, showbiz …Tout y passe ! Dès lors, l’artiste s’attire les foudres d’une presse suspicieuse, qui voit dans ce mélange de genres l’indice de son appartenance à des réseaux occultes.

Ce procès en sorcellerie parait ingrat, à l’égard de cette fourmi laborieuse, qui a chaperonné plusieurs orchestres et artistes, dont certains deviendront plus tard les porte-étendards de la musique congolaise : Zaïko Langa Langa, Empire Bakuba, Lipua-Lipua, Langa Langa Stars, Victoria Eleison, Anti-choc stars … Tous, ont à divers degrés, baigné dans les eaux de l’écurie VEVE !

L’avocat défenseur des artistes

Pour avoir passé le plus clair de sa vie dans l’univers de la musique, Verckys finira par en prendre les rênes, par le truchement des instances représentatives des musiciens. Successivement et parfois cumulativement, il occupera des postes de responsabilité dans l’Union des musiciens Zaïrois (UMUZA), dans la Société Nationale des Editeurs et Compositeurs (SONECA) et au sein de la Société Congolaise des Droits d’Auteur et droits voisins (SOCODA).

Au moment où la musique africaine prend le tournant de la professionnalisation, sur fond de chambardement de l’économie musicale, dû notamment à la numérisation, quoi qu’on dise de son histoire, Verckys fait partie de ces figures dont la trajectoire, cousue de persévérance, peut servir de phare à la jeunesse.  D’autant que « Dans la vie on a toujours besoin d’une étoile pour s’orienter », dixit Lilian THURAM.

Guy Francis TSIEHELA

Chroniqueur musical

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