Musique : Comeback fracassant de Reddy Amisi dans « Bailo Canto »

Si tout citoyen a une partition à jouer dans la marche du monde, le musicien Reddy Amisi joue parfaitement la sienne. Après ses mémorables albums de la décennie 1990 : Queen Lina, Injustice, Prudence, Ziggy…, l’artiste qui avait momentanément disparu des radars revient triomphalement dans Bailo Canto, le 30 septembre 2022, signant l’un des plus fracassants comeback de ces dernières années dans la catégorie Rumba. Comme quoi les diamants sont éternels ! Un album de haute volée artistique, salué par la critique et le grand public, dont les ondes sonores font déjà vibrer les réseaux sociaux et autres indicateurs d’audience.

La musique adoucit les mœurs dit-on. Cet album le corrobore bien, en apportant un brin de douceur à notre humanité enragée, plutôt encline à l’heure actuelle à servir de la violence, dont la presse se fait les choux gras : Ukraine, sécession au nord-ouest et sud-ouest Cameroun ou au nord Éthiopie, en Tigré, rébellion dans l’est de la République Démocratique du Congo…Autant de foyers de tension, symptomatiques de la bêtise humaine, à la limite de « la nausée » pour reprendre Jean- Paul Sartre , qu’il faut vite éteindre, avant que n’advienne le pire.

Ce défi-là devrait mobiliser la société dans son ensemble. Pour substituer, par exemple les vilains bruits de bottes menaçant ici et là par des bruits autrement plus jolis et apaisants. Un réel enjeu de civilisation qui pourrait attribuer des vocations inattendues et impensées à certaines œuvres. Pacification pourrait bien être la vocation de Bailo Canto, qui en vaut bien le détour.

Une œuvre Molokaï Root

En musique, bien souvent la disparition des leaders d’école s’accompagne de la disparition du type de musique qu’ils représentent. L’histoire de la musique est riche d’enseignement à cet égard : extinction du style African Jazz avec la disparition de Grand Kallé, du style Ok Jazz après la disparition de Luambo Makiadi et peut être un jour, pour les mêmes raisons, celui de l’école Zaïko Langa Langa et du Tchatcho. S’agissant de l’air Molokaï, (une des déclinaisons de Zaïko), après Papa Wemba, il semblerait que Reddy Amisi veille. C’est du moins l’impression que laisse l’audition de cet opus, qui rythmiquement est très en phase avec ses œuvres antérieures, réalisées dans « Viva la Musica ».

Revenu sur le devant de la scène au tournant de l’année 2020, à la faveur, notamment d’un des meilleurs live acoustiques Rumba, le chanteur de charme Reddy Amisi signe son retour, en larguant cet album éponyme : Bailo Canto. Un véritable blockbuster sur coussin musical Molokaï, mitonné à sa sauce, au fil des tournées dans l’arrière-pays congolais, qui l’ont parfumé de toute la saveur des terroirs.

À l’arrivée, une musique unique en son genre, celle dont on tombe amoureux du premier coup et qu’on ne se lasse jamais de réécouter. Les puristes apprécieront la sobriété dans l’usage des effets spéciaux de studio, qui libère du champ aux instruments classiques et aux voix.  Ainsi se laisse-t-on bercer dans les balades rythmiques jaillies des doigts experts de Sec Bidens, alias Monganga dans Omari ou celles tout aussi soporifiques de l’incontournable Caien Madoka dans Mini Maman. De la même manière, apprécie-t-on sans fioritures, les merveilleuses voix posées au décours de l’œuvre. Qu’il s’agisse de la voix modulable de Reddy Amisi himself, à l’occasion baryton ou lead ou de celle alto-basse du maitre es-rumba Sam Mangwana. Serait-on là dans une sorte de préfiguration de la musique bio des sociétés de demain ou est-ce là une simple survivance de sa récente expérience acoustique ?

La rumba dans tous ses états

Offrant un large éventail Rumba au gré des tempos, à l’image d’un arc-en-ciel sonore : câlines, chaloupés ou un peu plus enflammés, les amateurs de la bonne rumba, devraient s’y trouver. Un mérite à mettre au crédit de Reddy Amisi, qui en l’espace d’un album, certes de 16 titres, a pu brasser aussi large. Rien d’étonnant pour ce musicien réputé bon critique social autant qu’excellent parolier. C’est à ce titre qu’il est parfois comparé au poète Lutumba Simaro pour la profondeur de son inspiration, où le thème de l’éducation occupe une place privilégiée. Jouant de la panoplie des registres vocaux et diverses tonalités, il passe la société au crible, distillant, à l’occasion avis et conseils pour éclairer de sa lanterne son auditoire. Sans concession, tout y passe : l’hypocrisie dans « Carte de visite », la sagesse dans « Ekenge », le travail dans « Kende kelasi », l’amour dans « Zonga Ndako » etc. C’est vraiment en ce sens que le rapprochement qu’on fait de lui avec Lutumba Simaro recouvre toute sa pertinence.

Fait notable, pour une fois son album ne porte pas de titre tiré d’une chanson. Sans doute était-il lui-même dans l’embarras du choix. Il laisse donc aux mélomanes la liberté de choisir l’élu de leur cœur. Après tout, la musique est aussi affaire de sentiment !

L’œuvre aurait pu être parfaite ! Hélas les « mabangas », ces dédicaces très en vogue, parfois faites à contre-courant, l’ont un peu parasitée sur les bords. Dommage !

Guy Francis TSIEHELA

Chroniqueur musical

 

Laisser un commentaire