Extra Musica de Roga-Roga: Chronique d’un éclatement

L’esprit de division serait-il donc inscrit dans les gènes de l’orchestre Extra-Musica du talentueux Ibambi Okombi Rogatien, alias Roga-Roga ? Pourquoi cet orchestre, pourtant fleuron de la musique congolaise est-il cycliquement secoué par des crises, dont certaines, à l’instar de la toute dernière, l’exposent à la ruine ? Quels enseignements peut-on en tirer pour l’avenir de ce groupe musical, et au-delà, pour l’ensemble de la corporation ?

Autant de questions, auxquelles nous tenterons de répondre, en essayant de démêler l’écheveau d’une affaire complexe, dont l’onde de choc s’est répandue dans l’ensemble du microcosme musical africain.

La médiatisation de l’affaire a déjà révélé sa complexité. Celle-ci tenant à la fois de l’ancienneté et de l’enchevêtrement des faits, de la multiplicité des acteurs, que du cafouillage communicationnel, observé de part et d’autre des parties : du côté des dissidents que des loyalistes. Dès lors, les informations en circulation résultent davantage de déclarations parcellaires, insuffisamment étayées, que de stratégies véritablement structurées. Une source de frustration pour les mélomanes, et fans d’Extra-Musica, qui déjà échaudés par les crises antérieures ne pouvaient qu’appréhender pour l’avenir de cet orchestre.

La rançon de la gloire…

En effet, depuis 1993, date de sa naissance, pourtant en fanfare, ce groupe n’a cessé de filer du mauvais coton, allant de convulsion en convulsion, l’ayant régulièrement placé sous les feux de la rampe « médiatique », comme la rançon du succès. La toute dernière, de décembre 2019 étant la plus coûteuse, à tous égards.  

Oui la plus coûteuse ! Départ d’une dizaine de musiciens, non des moindres : le soliste Sonor Digital, celui-là même qui campait à la guitare solo, depuis la montée de Roga-Roga à l’attaque-chant, Ramatoulaye, le drummer, l’animateur vedette Zaparo de guerre… bref une part notable de la crème du groupe, partie créer, à une vitesse fulgurante un nouveau groupe, Extra-Musica Nouvel Horizon, qui a réussi l’exploit de mettre sur le marché un album précoce, dès le lendemain de sa création ! Un exploit qui a alimenté la thèse d’un complot ourdi de longue date. Ce fut un véritable coup dur pour Extra-Musica, dont on parlerait aujourd’hui au passé, n’eut été la résilience de son leader Roga-Roga. 

Dans cette histoire, ce qui est en cause, ce n’est pas tant la scission, fait banal, quasiment consubstantiel à l’univers musical, ainsi que le démontre excellemment le chroniqueur musical Clément Ossinondé, dans son merveilleux ouvrage « Histoire de la musique Congolaise, de 1960-2012 », abordant la généalogie des orchestres, que la nature des motifs invoqués par les dissidents. À cela, viennent se greffer confusément des reproches de comportement de leur ex patron. On lui reproche, pêle-mêle : faits du prince, suprémacisme, injustices…  Autant de griefs formulés, à tort ou raison, dont certains ont fini par mordre dans une partie de l’opinion publique, soulevant indignation et clameurs. Pour en avoir le cœur net, nous nous sommes rapprochés de Raymond Nty, le chargé de communication d’Extra-Musica. Ce dernier a récusé le plus clair de ces griefs, regrettant « la mauvaise foi des plaignants, dont la mémoire sélective a délibérément noirci le tableau, dans le dessein de nuire à Roga-Roga et son orchestre ». Il a cependant admis la légitimité de certaines frustrations, qu’il a toutefois imputé à la maldonne Congolaise.  

L’argent, la pomme de discorde ? « Likambo ya falanca »

Dans « makambo mibalé » Mountouari Kosmos se méfie de l’argent et de la femme, qu’il considère comme les deux principales menaces pesant sur le monde. Il ne croyait pas si bien dire! Des enquêtes que nous avons menées, recoupées avec les déclarations publiques de certains acteurs de la crise, il ressort clairement que la redistribution des revenus est la racine du problème. Dans son ouvrage en page 62, Clément Ossinondé, faisant le diagnostic de l’instabilité des orchestres des Congo des deux rives, cite au rang des causes majeures : « l’égoïsme, la vanité, le m’as-tu vu, l’indiscipline, la haine gratuite et surtout la course au gain facile ». Un jugement sévère, de portée générale, dont on ignore s’il est applicable à Extra-Musica ?   

La morale de l’histoire

Au-delà de la chronique, cette affaire révèle les insuffisances d’un système ingrat à l’égard de l’art en général, en particulier vis à vis de la musique. Une situation désespérante qui procède de la paupérisation des artistes, les empêchant de vivre du fruit de leur travail. En désespoir de cause, ces derniers finissent par succomber au charme de l’exil, à la recherche de meilleures fortunes. 

Par ailleurs, notons que la faillite de certains groupes musicaux procède de la confusion des talents d’artiste et de manager, erronément considérés comme liés. Pendant ce temps, sur le marché musical, notamment international, les défis grondent, sous la houlette des grands magnats du secteur et des mélomanes, aux exigences toujours plus élevées. Ainsi, plaidons-nous pour le développement d’un véritable mécénat culturel congolais, pour accompagner les artistes dans leur projet.

À l’échelle étatique, le ministère de la culture et ses divers démembrements devraient réinvestir activement leur mission. La loi du 10 juillet 2010, portant « orientation de la politique culturelle congolaise » ne semble pas, au vu des résultats, à la hauteur des enjeux. L’heure des remises en cause a sonné, pour concevoir des politiques culturelles plus volontaristes et plus interventionnistes, susceptibles de mieux soutenir un secteur d’activité qui n’est pas que marchand.

Un impératif catégorique à l’heure de la diversification de l’économie, où l’« industrie musicale » pourrait bien servir de levier de croissance, ne serait-ce qu’en améliorant le rayonnement de notre pays, dont elle jouerait alors le rôle de produit d’appel, au service d’autres secteurs. 

Guy Francis Tsiehela

Chroniqueur musical

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