Émergence : Vivement des ‘’Jerry Rawlings’’ en Afrique francophone

Le Ghana des années 70

L’Afrique subsaharienne vient de perdre deux anciens chefs d’États. Celui du Mali, Amadou Toumani Touré (ATT) et celui du Ghana, Jerry Rawlings. Sans vouloir minimiser tout le bien que l’ex-chef d’État malien avait, à son époque, apporté à ses concitoyens, et qui le lui rendront probablement bien, à titre posthume, c’est l’action de Jerry Rawlings, dans son Ghana natal, qui nous semble digne des plus grands éloges. C’était un jeune pilote de l’armée de l’air qui, en survolant le ciel du Ghana, il y a des années de cela, s’était profondément ému face aux nombreux bidonvilles de son pays, qu’il redécouvrait, dans toutes leurs étendues, et leurs profonds dénuements. Lesquels dénuements étaient, vraisemblablement, le résultat d’une mal gouvernance dont les auteurs n’étaient ni plus ni moins que les dirigeants du pays, qui s’illustraient forcément par leurs actes de corruption, de gabegie et de malversations de toutes sortes, puis bercés par ailleurs par de rares impunités. En clair, la société ghanéenne de cette époque là, rendue blafarde, suite aux successifs coups d’États qui s’y étaient déjà déroulés depuis l’indépendance, était tout simplement en état de pourrissement avancée. C’était une société dans laquelle les écarts avaient été érigés en normes. Exactement comme cela est visible aujourd’hui – et ce depuis près de 60 ans – dans la plupart des ex-colonies françaises d’Afrique subsaharienne.

Le combat de Jerry Rawlings

Face à ce qu’il avait considéré comme un drame national, Jerry Rawlings avait réuni autour de lui, en mai 1979, quelques compagnons d’armes, afin de renverser le régime corrompu ghanéen. Mais il fut arrêté, pour tentative de coup d’État, jugé et condamné à mort. Le problème pour le gouvernement ghanéen d’alors est qu’il avait rendu son procès, public. Le discours de défense de Jerry Rawlings fit mouche dans les consciences des ghanéens. Résultat : avant qu’il ne soit exécuté, un groupe d’officiers subalternes de l’armée ghanéenne vint renverser le gouvernement militaire de l’époque, le libéra et l’installa à la tête des forces armées révolutionnaires. Après un peu plus de 100 jours de gouvernement, il remit le pouvoir aux civils. Mais deux ans après, se rendant compte que les forfaitures  vis-à-vis du peuple avaient recommencé, que la lutte contre la corruption n’était toujours pas mené, Jerry Rawlings reprit le pouvoir, en décembre 1981. Un pouvoir qu’il quitta définitivement en janvier 2001, conformément à l’esprit de la constitution de son pays. Il faut peut-être rappeler que les méthodes de conscientisation des populations, de lutte contre la corruption et de redressement du pays, employées par Jerry Rawlings, ne furent pas des plus tendres. Il y était allé avec des gangs en acier trempé de prussiate car, dans les différents pelotons d’exécutions, il fit exploser des têtes : celles de nombreux officiers généraux parmi lesquelles, celles de trois ex-chefs d’État, ainsi que celles de plusieurs centaines d’autres personnes…Cela créa au Ghana une onde de choc si violente que la dictature qu’il y avait au sommet de l’État et la corruption généralisée dans le pays s’inversèrent. La IVème  République naquit, en 1992, et avec elle, l’installation d’une démocratie dont rêve aujourd’hui de nombreux Africains. Le pays qui était anémié, exsangue, était parvenu au stade de pays émergent.

Un héritage non exploité par tous

Jerry Rawlings a laissé à ses concitoyens, voire à l’Afrique entière, un esprit, un type de gestion du pays, d’une exceptionnelle qualité, qui marche très bien, au Ghana particulièrement et dans quelques autres pays africains, mais qui ne fonctionne dans aucun des pays africains subsahariens, anciennement esclavagisés, colonisés et aujourd’hui encore néo-colonisés par la France. En effet, dans ces pays ayant en commun l’usage du Franc cfa, la gabegie, les forfaitures, les malversations, l’impunité des dirigeants voleurs et corrompus, demeurent les choses les mieux partagées,  exactement comme au Ghana de la fin des années 70. Le niveau de pourriture du Ghana avait, lui, poussé Jerry Rawlings à changer l’histoire de ce pays, avec des méthodes qu’il est inutile de rappeler de nouveau. Les dirigeants des ex-colonies françaises, eux, n’y pensent même pas ou lorsqu’ils y pensent, en sont incapables parce qu’ayant les mains liées, parce qu’étant là, essentiellement au service des intérêts de la France. Pas étonnant donc que plus de 60 ans après leurs ‘’indépendances’’, aucun pays africain francophone, au sud du Sahara, n’ait toujours pas atteint le stade minimum de pays émergent, malgré leurs énormes ressources naturelles. Disons donc les choses comme elles doivent être dites : Pour créer toutes les conditions indispensables à leurs émergences, les pays tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad, la République Centrafricaine, le Gabon et surtout le Cameroun, etc. ont indiscutablement besoin à leurs têtes des ‘’Jerry Rawlings’’ ou des ‘’Thomas Sankara’’. Imaginons un seul instant une multitude de ‘’Jerry Rawlings’’ à la tête de ces pays… Assurément, de nombreuses choses seraient remises à l’endroit et sans doute, il n’y aurait plus aucun désordre visible dans les marches de ces pays, aussi bien dans les cercles des décideurs que dans les actions des partis d’oppositions, y compris dans celles des opposants de caniveaux.

Alain Bengono

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