Musique : Qui pour remplacer Nganga Edo à la tête des Bantous de la capitale ?

La tragique disparition du patriarche de la rumba congolaise, Nganga Edo, pilier de l’orchestre « Les Bantous de la Capitale » (un groupe musical du Congo Brazzaville) risque de poser, brutalement la question de la pérennité de ce groupe musical, emblème de la rumba congolaise.

En effet, il est de notoriété publique que l’existence des orchestres congolais, des deux rives ont une forte dépendance à l’égard de leurs fondateurs, ou d’autres personnes, qui les ont incarnés ou façonnés, au cours de leur histoire. Aussi, c’est avec raison que le landerneau musical congolais s’interroge sur la pérennité de ce groupe, dont Nganga Edo représentait encore jusqu’à la fin de ses jours, la figure de proue.

Co-fondateur des Bantous, ainsi que de l’Ok Jazz, Nganga Edo, décédé le 7 juin dernier aura porté en bandoulière, toute sa vie durant, tel un sacerdoce, les Bantous de la capitale. Le concert d’hommages, urbi et orbi, qui lui est rendu aujourd’hui est bien à la mesure du don qu’il aura fait de sa personne, pour conduire les destinées de ce mythique groupe. Et nous devons une fière chandelle à Paul Soni Mbenga, de lui avoir consacré tout un film documentaire de témoignage, retraçant cette magnifique romance.

Sa disparition-disions-nous- ouvre une période d’incertitudes, nourrie par d’inquiétants antécédents « jurisprudentiels » (Ok Jazz, Afrisa international, Négro succès…), qui appellent une réflexion anticipée, pour éviter le pire. D’abord, autour de la pérennité du groupe, puis de son incarnation artistique.

Sur la pérennité du groupe.

L’histoire de la musique montre que le rayonnement de tout groupe artistique est souvent assis sur des visages. C’est toute la question de l’incarnation, qui peut être liée soit au talent, soit au charisme, voire à la chefferie. Concernant les Bantous de la capitale, dès sa création en 1959, les sociétaires avaient opté pour un management de type plutôt collégial. Cela n’empêchant nullement d’ailleurs que Jean Serge Essous en assure la direction, en tant que chef d’orchestre. Cette collégialité répartissait horizontalement les responsabilités, de telle manière que chaque membre du groupe se sente investi d’une parcelle de pouvoir. Exactement à l’opposé de ce qui avait cours ailleurs, dans des orchestres tels qu’Ok Jazz, Afrisa international, Vévé, etc. où la verticalité était de rigueur. La quasi-totalité des responsabilités incombant à une seule tête, bien située au sommet de la pyramide.

Du point de vue existentiel donc, la continuité de l’orchestre peut a priori être assurée par des méritants musiciens encore en poste, tels qu’Alphonse Mpassi Mermans ou Rikky Siméon, dont l’ancienneté au sein du groupe pourrait valoir gage de sa pérennité. Signalons, en passant que les Bantous de la capitale ont encore un dernier cofondateur en vie, en la personne du guitariste Nicolas Dicky Baroza. Évoluant actuellement à Bandundu, en République Démocratique du Congo. Il est âgé de 81 ans. Sans remettre en cause les mérites de Mermans et Rikky, qui sont de grands musiciens, ayant de surcroit effectué l’essentiel de leur carrière dans les Bantous, il nous semble que le retour d’un Kosmos, de style fortement connoté « bantou », pourrait être décisif, pour renforcer l’armature de maintenance identitaire de ce groupe. Le temps, qu’ensuite, ils s’attèlent, consciencieusement et laborieusement à former des jeunes, qui prendront leur relai, un jour prochain.

Sur l’incarnation artistique.

L’identité ou l’empreinte artistique d’un groupe est généralement, l’apanage d’un cercle restreint. Pour en faire partie, l’ancienneté seule ne suffit pas. À cette dernière, doivent s’adjoindre d’autres qualités personnelles, souvent d’ordre « irrationnel », qui sont de lente sédimentation, procédant par osmose entre la personne morale et la personne physique. Toute une alchimie !

Lorsqu’on passe en revue les effectifs actuels des Bantous de la capitale, on constate fort malheureusement que cette personne-là n’existe vraiment pas. Une ombre de cette dernière semble poindre lorsqu’on jette un regard dans le rétroviseur. Celle d’un homme providentiel.  Et il s’appelle Mountouari Côme, dit Kosmos !

Né le 12 juillet 1944, à Kinkala, ce musicien, auteur-compositeur et interprète, âgé de 75 ans aujourd’hui, aux talents incontestables, est un ancien sociétaire des Bantous de la capitale. Il y a évolué entre 1960 et 1970. Disposant d’un énorme potentiel, il parait être la personne idoine pour relever le défi de la continuité artistique, qui est loin d’être une sinécure. Son brillant passage dans cet orchestre, où il formait un remarquable tandem avec Pamelo Mounka plaide pour lui. En une dizaine d’années environ, il a largué, en rafale des tubes qui ont surplombé les hits parades les plus prestigieux.  L’on se souvient des titres comme Ebandéli ya mosala, Makambo mibalé, Miléna, Vie privée… Des chansons d’anthologie qui continuent à trôner, en bonne place au tableau d’honneur des classiques de la rumba congolaise.

Doté d’une inspiration incommensurable, Kosmos est certainement encore capable de faire rêver le public, comme au beau vieux temps, avec des morceaux magnifiquement ciselés, dont lui seul détient le secret. De plus, par son rayonnement, y compris international, acquis de haute lutte, son nom est susceptible de drainer des foules et de recréer la ferveur nécessaire au rallumage du feu sacré, malheureusement pâlissant, des Bantous.

Reste à régler d’éventuels problèmes humains, qui s’ils existent devraient – nous le souhaitons – se résoudre, par l’élévation attendue des différents acteurs, face aux enjeux d’intérêt général, notamment culturel. Car faut-il le rappeler, la rumba congolaise se trouve actuellement en pleine revendication de sa reconnaissance au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, à l’UNESCO. Un statut auquel elle ne peut évidemment accéder que si son enracinement populaire se poursuivait dans les pays réputés « dépositaires » de la marque rumba, comme le Congo-Brazzaville. Tout un enjeu, qui en plus du plaisir des mélomanes, mérite une prise de hauteur et de conscience de tous.

Guy Francis TSIEHELA

Chroniqueur musical correspondant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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