Musique:  Avec l’icône Anitha Ngapy, découvrons le métier de producteur musical 

Cela ne tombe pas naturellement sous les sens, et pourtant ! La mise sur le marché d’un disque est une véritable course d’obstacles, qui mobilise tout un écosystème. Celui-ci part de l’auteur au distributeur, en passant par le compositeur, l’interprète, l’arrangeur, le producteur voire le mécène.

Dans cette boucle, s’il en est un qui fait figure « d’homme-orchestre », c’est sans conteste le producteur, en raison de son large rayonnement, brassant les taches aussi hétéroclites que commerciales, marketing, financières et artistiques.

De notre propos, nous excluons délibérément le cas exceptionnel, ô combien désormais fréquent du musicien auto producteur, qui pour diverses raisons, va choisir d’assumer lui-même, en partie ou en totalité ces missions.

À l’heure des bouleversements intervenus dans l’économie de la musique, avec notamment l’avènement du numérique, ce métier a beaucoup perdu de son attrait, du moins vu à l’échelle des deux Congo, avec pour conséquence, la raréfaction des vocations. Se pose dès lors, le problème « existentiel » pour la musique, de l’accompagnement de ceux qui la font, à savoir les musiciens.

Partant d’un cas d’école, celui du célèbre producteur congolais Anita Ngapy, propriétaire du label ANP, recueilli sur le plateau de l’émission 100% Muzik sur Ziana TV, nous irons au cœur de ce métier populaire, pourtant paradoxalement méconnu du grand public.

Anitha Ngapy :  La production musicale, le fruit de sa passion

Au commencement de sa carrière, était la passion de la musique, dit à qui veut l’entendre le producteur Anitha Ngapy, de son vrai nom Johan François Atipo Ngapy. En effet, rien dans son parcours ne prédisposait cet étudiant en économie à embrasser ce métier. Rien, sauf bien sûr la passion, qui fera de lui un véritable rat des studios musicaux, une fois délesté du fardeau des études.

 Producteur jusqu’au bout des ongles. 

Déboulant dans le métier, la fleur au fusil, le jeune entrepreneur fait directement ses armes dans la cour des grands. Ainsi, tomberont dans son escarcelle des mastodontes comme Zaïko Langa-Langa, Koffi Olomidé, Choc stars, Anti-choc stars… Le succès est au rendez-vous ! Il faut dire que l’homme est très apprécié du milieu, où il s’affirme, tant par son savoir-faire que par son savoir-être. En 1988, sa carrière est au zénith, lorsque le grand père Bozi-Boziana largue son tube : la reine de Sabah. L’ampleur du succès est telle que des labels zaïrois de l’époque, ayant pignon sur rue, à l’instar de Glenn Music, Mayala, Ngoyarto…en prendront ombrage.

Le petit poisson devenu grand, va vite se sentir à l’étroit dans le vaste Zaïre. Via le fleuve Congo, qui selon Joseph Kabasele, dans Ebale ya Congo, est davantage un chemin qu’une frontière, l’homme s’élance à l’assaut du Congo-Brazzaville. Là, produisant moult musiciens, comme le grand Mounbafouneur Fernand Mabala, Chiden Dembuta, Jacques Loubelo, Saint Petro…, il va contribuer au rayonnement de l’art congolais. De concert avec feu Cyriaque Bassoka, un autre rare entrepreneur culturel congolais de la diaspora, qui, lui assurera la distribution internationale de son catalogue.

Il faut noter qu’en plus de la production, le label ANP s’illustre dans la reproduction. C’est-à-dire la relance commerciale d’œuvres anciennes, produites par d’autres labels, au besoin en les remasterisant. C’est dans ce cadre qu’il est en train de revisiter actuellement toute une collection d’œuvres des Bantous de la Capitale, très rafraichissantes pour ce grand orchestre, aujourd’hui un peu endormi.

Pénurie des producteurs et des mécènes : un danger pour la musique. 

Terre des légendes, le Congo semble aussi être celui des oxymores ! Alors qu’il est un océan de mélomanes, bizarrement, il est un désert de production et du mécénat culturel ! Exactement comme on aimerait les œufs sans la poule, on y aime la musique sans le musicien ! Tout se passant comme si la musique était l’œuvre du saint esprit ! Dramatique, cette situation prêterait à rire, si elle n’était l’une des nombreuses faiblesses structurelles du Congo-Brazza, dans la production culturelle, en comparaison, par exemple avec sa bonne voisine, la République Démocratique du Congo.

Toutefois, il est un exemple détonnant, celui de Maitre Alexis Vincent Gomez, AVG pour les intimes. Sans tambour ni trompette, cet avocat de profession, fieffé mélomane, compte au rang des soutiens majeurs de la musique congolaise, des deux rives. Les mauvaises langues se plaignant d’ailleurs qu’il en fait davantage à Kinshasa qu’à Brazzaville !

Par ailleurs, quoique l’on puisse penser des Instituts Français de la Culture, ils font œuvre utile ! La nature ayant horreur du vide, c’est eux qui accomplissent, en partie la politique culturelle du Congo, à la place de l’État, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des jeunes artistes. Et la France a beau jeu dans ce cas d’exercer, au passage son soft power. De bonne guerre, tant elle a besoin de redorer son image, pour le moins cabossée, ces derniers temps, en Afrique.

Compte tenu de l’étendue et de la richesse de son œuvre, le producteur Anitha Ngapy mérite la reconnaissance de la République. Souhaitons surtout que son engagement fasse des émules, pour le salut de notre musique, qui est aussi thérapeutique, ne l’oublions pas. Car « les artistes, c’est comme une prise de terre, on pense que ça ne sert à rien, mais ça évite de péter les plombs » !

 

 

 

 

 

 

Guy Francis TSIEHELA 

 Chroniqueur musical 

 

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