Gabon : Gérard Ella Nguema prône une troisième voix

Le Président du Front Patriotique Gabonais prône une troisième voix pour mettre fin au bicéphalisme politique au Gabon. L’ancien Secrétaire exécutif adjoint de l’Union Nationale (Opposition), est convaincu que la majorité silencieuse, a son mot à dire sur les enjeux de la gouvernance actuelle du pays.

Gérard Ella Nguema, avec une dizaine de ses pairs se réclamant du centre de l’arène politique nationale, entendent convaincre leurs concitoyens de l’urgence de l’implémentation de cette troisième voix.

Afrikinternews est allé à sa rencontre. 

Pourquoi la troisième voix dans le contexte politique actuel du Gabon ?

Parce que nous pensons que le cadre d’évolution politique actuel de notre pays ne correspond pas à l’esprit de la Constitution. Celle-ci consacre la liberté à tout citoyen, à tout parti politique et le pluralisme politique. Or, le code électoral qui découle de la loi, qui est un texte d’application, lui consacre deux pôles politiques. À partir de là, si vous n’êtes pas de la majorité ou de l’opposition, vous n’êtes pas pris en compte. Ce qui fait que certains en allant par exemple aux élections, sont accompagnés et bénéficient du soutien de l’État et d’autres, sont livrés à eux-mêmes. Nous constatons dès lors que la majorité est composée de conservateurs notamment du clan Bongo, qui tient absolument à conserver le pouvoir, et l’opposition qui rassemble les apparatchiks du PDG (Parti Démocratique Gabonais au pouvoir), des déçus ou des revendicateurs. Nous, la nouvelle génération, ne nous reconnaissons pas dans ce modèle politique. Nous avons besoin d’un espace plus libre, où nous sommes pris en considération. Nous avons besoin qu’un troisième camp politique soit reconnu au Gabon. Il faut un espace pour les déçus des deux camps. Il faut savoir qu’au Gabon, la majorité silencieuse est plus importante que la majorité et l’opposition réunies. Environ 85% des Gabonais ne croit plus aux projets présentés par les camps de la majorité et de l’opposition. Cette question de troisième voix avait même déjà été soulevée à la conférence nationale du Gabon en 1990, dans les recommandations. Nous essayons seulement d’actualiser le cadre politique.

À trois ans de l’élection présidentielle, certains trouvent votre sortie opportuniste. Est-ce que vous n’auriez pas envie de vous rallier à un camp, notamment celui de la majorité présidentielle tout en restant dans cette troisième voix ?

Vous ne pouvez pas empêcher les gens de penser comme ils veulent. Ce que nous faisons c’est pour l’histoire. Que les Gabonais retiennent quelque chose de notre engagement politique. La troisième voix c’est un espace que je voudrais donner aux jeunes cadres. On se rend compte qu’ils n’arrivent pas à s’impliquer en politique tout simplement parce que, s’ils vont dans le camp de la majorité, ils seront catalogués par ceux de l’opposition comme des traitres, et s’ils s’associent à l’opposition, ils seront considérés comme des réfractaires au système et donc n’auront pas droit au travail. Il faut donc leur trouver un espace d’engagement et d’expression. Ce n’est pas de l’opportunisme. La troisième voix n’est pas forcément celle qui fait alliance avec l’autre. Elle peut aussi être celle qui fait alliance pour soi, ou avec la majorité et l’opposition. Il faudrait que l’espace politique du Gabon corresponde à la nouvelle nomenclature.

Le Gabon fait face à une crise au sommet de l’État, décriée par l’opposition qui parle de vacance du pouvoir, notamment avec l’état de santé du Président Ali Bongo. Quelle est la position de la troisième voix ?

La vacance du pouvoir fait couler beaucoup d’encre et de salive aussi bien du côté de l’opposition que de la majorité. Ce débat doit être traité avec beaucoup d’intelligence par la troisième voix. Je crois que la pauvreté des acteurs politiques du Gabon, leur manque de vision et de perspicacité me font peur. Depuis un bout de temps dans notre pays, aucun sujet sérieux n’est abordé.

Et la vacance du pouvoir n’est pas un sujet sérieux ?

C’est un sujet sérieux qu’il fallait d’abord résoudre. Nous avons eu le Président Ali Bongo qui est tombé malade. Ça a pris à peu près un an pour le voir réapparaitre. Mais pendant cette absence, le débat s’est porté sur l’article 13 de la Constitution. Nous la troisième voix, disons que les manquements que nous avons observé au niveau de l’article 13 doivent nous interpeler. Il faut aborder voir où il y a eu des manquements. Ce qu’il faut ajouter ou extirper pour que, si jamais cette situation se reproduit, que nous sachions quoi faire pour trouver des solutions. Mais curieusement, aucun acteur politique fut-il de l’opposition, n’a voulu se saisir du dossier. Je continue à dire que la pratique politique doit correspondre à l’esprit de la loi. Si on veut parler de vacance, il faut demander à la Cour de justice, au législateur de revoir cet article 13. Certes il fait référence à la vacance du pouvoir, notamment en cas d’empêchement du Président pour quelque raison que ce soit, mais la Cour Constitutionnelle n’a fait qu’arrondir les angles de manière ponctuelle. Maintenant que tout semble revenir dans l’ordre, il est temps que cet article  soit complété ou clairement libellé.

 Pour vous l’article 13 ne consacre pas la vacance du pouvoir en cas d’ennui de santé ou d’incapacité du Président à poursuivre sa mission à la tête du pays ?

Je voudrais d’abord qu’on clarifie l’esprit de l’article 13. Une fois ce débat fait, la Cour Constitutionnelle n’aura plus rien à interpréter, ou ne trouvera pas une raison pour dire que c’est un article qui est incomplet, que nous sommes obligés de le compléter par rapport à une situation qu’elle n’a pas prévu.

 Que pensez-vous de la question de la nomination du coordonnateur des affaires présidentielles, et des rumeurs qui font état de la candidature de Junior Bongo (fils du feu Président Omar Bongo ndlr) à la présidentielle 2023 ?

Nous entendons des appels à candidature. Le Président Ali Bongo a été élu en 2016 pour un mandat de 7 ans. Je suis un peu surpris par toute cette agitation autour de sa succession, surtout venant des députés du PDG, le parti au pouvoir. Nous avons même dénoncé cet incivisme de la part des élus du peuple qui sont les législateurs. C’est le serpent qui se mord la queue. Je vais tout simplement rappeler à ceux-ci que leur agitation devient une expression.

Faut-il maintenir l’actuel Premier ministre ou le changer comme certains le réclament ?

Le Premier ministre est un parent. Il est de l’Estuaire comme ma mère. Je suis de ceux qui pensent qu’en un an de primature, on ne peut pas avoir autant de scandales dans un pays : l’ancien directeur de cabinet du Président (Brice Fargeon Laccruche Alihanga limogé pour détournement et incarcéré ndlr), le porte-parole du gouvernement (Ike Ngouoni Aila Oyouom incarcéré pour détournement ndlr), les enlèvements d’enfants, les crimes rituels etc. et se maintenir à son poste. Il serait sage pour lui de rendre son tablier.

Interview réalisée à Libreville par Marcellin Nzé Moussavou.

 

 

 

 

 

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