Fally Ipupa :  Le King de la Rumba

La vie, en général est loin d’être un long fleuve tranquille. À plus forte raison la vie sonore, qui par nature se moque des frontières ! S’y jouent, en effet, de sournoises luttes d’influence, par-delà son apparente douceur. Ainsi se trouva un jour assiégée la citadelle de la Rumba, longtemps considérée imprenable. Le fait d’arme est l’œuvre de banales et opportunistes sonorités, en vadrouille, profitant du vieillissement de son offre, de la numérisation de l’économie musicale et de la mondialisation.

Mais, délivrer cette citadelle assiégée n’est pas donné ! Cela passe par une vraie évolution, à défaut d’une révolution. Une œuvre exaltante autant que besogneuse, aux enjeux culturels indéniables pour le bassin du Congo surtout, dont la rumba constitue un puissant vecteur. Il a fallu toute une génération de musiciens du terroir, plus connectée et plus transgressive que les pépères fondateurs, pour « s’y coller ». L’un d’eux, et non des moindres, s’appelle Fally-Ipupa Nsimba, alias Dicap la Merveille.

La rumba de la génération « Tokooos » 

En lingala, qui est la principale langue de chant de Fally-Ipupa, « Kitoko » signifie « bon, beau, joli ». Parlant à la cantonade, on balancera volontiers « Tokooos », pour opiner ! Les néologismes étant très prisés du monde artistique. « Tokooos » est d’abord le titre de ses albums. Mais, il est désormais devenu un cri qui draine tout un imaginaire, dont redonner de sa superbe à la Rumba, en améliorant son Service Musical Rendu au public, n’en constitue qu’une partie.

Il est chanteur de charme, plutôt beau gosse Fally-Ipupa, osons-le dire ! De ses vocalises envoûtantes, à souhait ténor ou baryton, fusent de sensuelles roucoulades propres aux virtuoses du chant. Rarement, musicien n’a coché autant de cases, à la fois. Redoutable bête de scène, ses coups de reins bien syncopés, à couper le souffle, font de lui l’un des meilleurs danseurs de sa génération. D’ailleurs, son recrutement dans les Quartiers Latins s’est fait à coup de cachet versé, rubis sur l’ongle par Koffi Olomidé à son ancien orchestre. Un privilège exceptionnel dans cette corporation, qui lui vaudra le surnom de Anelka, en référence au couteux transfert du footballeur Nicolas Anelka au Paris Saint Germain.

Autant de talents que l’artiste s’applique à sublimer par le travail et la rigueur, en principe suffisants pour expliquer sa notoriété. Mais, n’en ont cure les mauvaises langues ! Dans ce qui ressemble fort à une campagne de diabolisation, elles ne cessent, par obscurantisme de lui chercher querelles, allant jusqu’à lui attribuer des pratiques sacrificielles ! Voyons !

Quant à son répertoire, il est à l’image de son talent : Dense, prolifique et éclectique. Un chapelet de chefs d’œuvres, serti de pépites, comptant plus de six albums et plus d’une vingtaine de singles. Tous survolant les hits parades internationaux les plus prestigieux. En voici quelques échantillons : Droit chemin, Arsenal de belles mélodies, Power « kossa leka », Tokooos, Control, Tokooos II.

Le quartier latin de la révélation

À tout seigneur, tout honneur ! Au-delà des polémiques, il faut reconnaitre à l’immense Koffi Olomidé le mérite de l’avoir bien formé et révélé au public. D’ailleurs, point besoin d’être grand clerc pour déceler l’influence de ce dernier sur l’Aigle, l’autre sobriquet de Fally-Ipupa. Etonnamment, les commérages, alias songi-songi et Kongossa, de Kinshasa à Abidjan, en passant par Brazzaville, dont on connait la foisonnante imagination, veulent voir Fally-Ipupa en cible de la pierre aveugle (libanga na molili), jetée par Koffi Olomidé, au début de sa chanson « Étoile d’État », dans l’album « Abracadabra », sorti en février 2012. Le grand Mopao (Koffi. O) y affirme garder toujours par devers-lui quelques secrets incessibles-sans doute occultes- lorsqu’il forme ses disciples. Sous-entendu pour éviter que ces derniers ne lui fassent de l’ombre, une fois émancipés. « Nganga ata a formé mwana na yé, a tikalaka toujours na secret moko, to mibalé po na yé moko ». À vos boules de cristal !

La Rumba, l’étonnante voyageuse

Faire voyager la Rumba, par son charme intrinsèque semble au cœur des pensées de Dicap la Merveille.  Charismatique, auréolé de son succès de faire partie, en 2020, des 50 Africains les plus influents, dans le classement Jeune Afrique, il exerce une réelle fascination sur nombre de communautés, y compris les plus rétives, réussissant à les « rallier » à ce rythme. Ce brassage tous azimuts s’étant avéré concluant, il va l’étendre à ses pairs. D’où la série des featurings aussi hétéroclites qu’improbables : Olivia, Youssoupha, Aya Nakamura, Dadju, Pokora, Krys…Tous y passent !  Apparait ici, en toile de fond le panafricanisme de l’homme, auquel il faut ajouter ses engagements humanitaires, au travers notamment de sa Fondation Ipupa Fally (FIF).

Paradoxalement, c’est son enracinement dans la tradition, entre autres, la tradition « Mongo », dont il est originaire, qui fait la beauté et la force de son œuvre.  Le succès de son titre « Eloko Oyo », l’un des plus folks de son répertoire est là pour en témoigner.

De quel qu’acteur que cela tienne, le regain d’intérêt de la Rumba est une bonne nouvelle, pour les raisons précitées. Clin d’œil de l’histoire, un nouveau film « the Rumba Kings », signé Alan Brain vient de lui être consacré. Un véritable pied de nez à l’éphémère toute puissance des génériques, faits de bric et de broc.

Nous espérons que cette ferveur retrouvée pèsera sur la balance, dans la perspective de l’inscription de la Rumba congolaise au patrimoine immatériel de l’humanité à l’UNESCO.

Guy Francis TSIEHELA

Journaliste-Chroniqueur musical

 

 

 

 

Laisser un commentaire