Décès de Mory Kanté : Retour sur le parcours du « griot électrique » , sympathique et atypique
Le mauvais sort s’acharnerait-il sur les musiciens africains ? Après Manu Dibango, Aurlus Mabélé, Idir, Tony Allen, c’est au tour de Mory Kanté, « le griot électrique » de tirer sa révérence.
L’auteur de la chanson culte « yéké-yéké » s’est éteint sur ses terres, en Guinée-Conakry le 22 mai 2020. Une véritable catastrophe pour la galaxie musicale universelle, qui perd ainsi l’une de ses étoiles, non des moindres. Afrikinternews revient sur le parcours de cet artiste atypique, qui a conquis le monde à travers sa musique.
Mory Kanté est né le 29 mars 1950 à Albadariya en plein empire Mandingue, un petit village du sud de la Guinée ( préfecture de Kissidougou) dans une célèbre famille de griots. À l’âge de 7 ans, il est confié à sa tante, elle-même griotte, à Bamako au Mali. Destiné à devenir « Djéli », terme mandingue désignant le griot, il est initié aux traditions, au chant et surtout au balafon, instrument, symbolisant ici, le dialogue avec le cosmos.
Au tournant des années 1960, dans un Mali culturellement rayonnant, Mory Kanté, ouvert d’esprit, va se frotter très jeune aux sonorités venues d’ailleurs : Rumba, Salsa, Jazz, Funk, Soul…Autant de sonorités qui vont éveiller son intérêt pour d’autres instruments, tels que les cuivres, le synthétiseur, la guitare, à laquelle il va désormais s’enticher d’ailleurs. Le pont entre les cultures, de ses tendres rêves commence déjà à s’ébaucher.
Super Rail Band : sur les rails du succès ?
Aventurier, visionnaire, et pétri de talent, Mory Kanté, poursuit son exploration musicale, sans toutefois se couper de ses racines. Etudiant à l’Institut des Arts de Bamako, il lâche tout en 1969, pour se consacrer exclusivement à la musique. On le verra sur les scènes des bals de nuit, à ciel ouvert, les « appolos », lesquels, finiront par le révéler au grand public. En 1971, il est repéré par le saxophoniste Tidiani Koné, qui lui propose d’intégrer son orchestre, le Super Rail Band de Bamako, dans lequel il évoluera aux côtés du célèbre chanteur Salif Kéïta. Lorsque ce dernier quitte le groupe en 1973, Mory Kanté est prié de le remplacer au micro, au pied levé. Il hésite, et accepte finalement, devenant ainsi auteur-compositeur. Eclair de génie ! Son talent à ce poste s’affirme, au point d’être distingué, quelques temps plus tard, par le trophée de la « voix d’or », au Nigéria en 1976.
Militant du dialogue des cultures, il va s’atteler à valoriser l’arsenal instrumental africain, en l’alliant à la modernité. Aussi, au mépris d’une tradition inscrite dans sa famille, qui veut que le balafon soit l’instrument noble par excellence, il se met à l’apprentissage de la guitare, puis la kora, cette harpe à 21cordes, dont il devient virtuose. Il finit par s’en éprendre, au point d’en faire son cheval de bataille.
Abidjan, le tournant
L’artiste devenu grand se sent désormais à l’étroit à Bamako, où il s’ennuie à tourner en rond. Il décide alors de s’installer à Abidjan, ville qu’il estime plus qualifiée à porter ses ambitions, en raison notamment de ses équipements artistiques et de son bouillonnement culturel. Bingo ! Son talent explose, en même temps que son audience, qui rayonne désormais sur l’ensemble du continent africain. L’alchimie des sons du terroir et d’ailleurs, dont il détient seul le secret est récompensée. C’est la consécration du « griot électrique » ! Il n’en faudra pas plus pour qu’une certaine presse, dite puriste ne lui tombe dessus, à bras raccourcis, au motif d’une prétendue trahison culturelle. De marbre, Mory Kanté, n’en a cure. Il trace sa route, n’hésitant d’ailleurs pas à revisiter certains standards noirs américains, à la kora, au djembé, au balafon, bref à la sauce africaine. Ses tubes décollent puis campent au sommet des hits parades internationaux.
L’appétit venant en mangeant, ce succès médiatique va lui donner des ailes pour s’envoler à la conquête du monde. Mais, pour cela, il lui faut une rampe de lancement. Et Paris, traditionnellement bouillonnante de cultures, lui parait indiquée.
La conquête du monde.
En 1984, Mory Kanté débarque à Paris, incognito, sans titre de séjour. Comme n’importe quel quidam venant chercher sa place au soleil, dans cette ville lumière, son parcours sera plutôt un chemin de croix. Il ne devra son salut qu’au coup de la Providence, certainement grâce à sa fervente piété ! La world music, mélange des rythmes traditionnels et des sons modernes, – Rock, le Funk ou le Jazz – est très en vogue. C’est une vraie aubaine pour lui, déjà rompu à ce style depuis l’Afrique. Naturellement, il fonce et brille de mille feux !
Quand arrive Yéké-yéké (avoir le feeling), en 1987 c’est l’apothéose ! Cette chanson culte, tout droit sortie des profondeurs Mandingues, n’est pourtant que la reprise d’une de ses vieilles chansons contenues dans son premier album parisien « Mory Kanté à Paris », lancé en 1984. Ce succès planétaire, vendu à plus de 5 millions de disques, en plusieurs langues, catapulte littéralement le « griot électrique » sur les cimes de la gloire. Les grandes salles du monde n’ont plus de secret pour lui : Bercy, Zénith, Central Park de New York, Appolo théâtre d’Harlem…Tel un point de mire, tout le gratin du show biz se l’arrache : il co-écrit la musique du film « Black Mic Mac », réalise celle du film « The beach » de Léonardo Di Caprio, anime en 2000 le jubilé du Pape au vatican… D’ailleurs, d’aucuns dateront de ce moment-là, son début de carrière. Nenni ! L’artiste a le cuir déjà bien tanné, par une vingtaine d’années. « Ce n’est pas Yéké-yéké qui m’a fait, c’est moi, qui ai fait Yéké-Yéké », lâchera-t-il un jour d’avril 2019, faussement agacé, au micro du célèbre chroniqueur Claudy Siar, sur Radio France Internationale. Une façon pour lui de rappeler que ce tube, aussi illustre soit-il, est loin d’être l’alpha, et l’oméga de sa carrière.
Les combats de sa vie.
Avant d’être un artiste accompli, Mory Kanté était d’abord un humain accompli, une incontestable vigie de notre époque. Son œuvre multi primée, constituée d’une douzaine d’albums environ, chante les combats de sa vie, autour des valeurs humaines « sûres », qu’il n’a cessé de promouvoir, pour bâtir un monde meilleur : partage, protection de l’écologie et des traditions, dialogue des cultures, lutte contre la pauvreté, la maladie, la faim, le racisme…Dans le contexte actuel de la Covid-19, où le complexe de supériorité que nourrit l’Homme, face à la nature, depuis un certain temps se trouve entamé, ceci résonne comme un appel à l’humilité.
Figurez-vous que malgré sa maladie, Mory Kanté a eu la bonne volonté de participer, via l’enregistrement, au Wan show, organisé le 25 mai 2020 dernier, en commémoration de la journée africaine. Elle était dédiée cette année à la lutte contre la Covid-19.
Guy Francis TSIEHELA
Chroniqueur musical