Musique : le Raï algérien, désormais au patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’UNESCO
Il faut croire que les bonnes fées se sont penchées sur le berceau du monde arabe en cette fin d’année 2022 ! Sinon, comment expliquer cette cascade de bonnes nouvelles, tombées dans l’escarcelle d’une même famille, en si peu de temps ? Les phares de la controversée coupe du monde venaient à peine de s’allumer au Qatar en ce 20 novembre 2022, qu’un autre événement, culturel déjà émergeait. Le Raï, ce genre musical propre au Maghreb, devenu célèbre dans le monde, au tournant de la décennie 90, venait d’être inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’UNESCO, le 1er décembre 2022.
Un véritable honneur pour ce genre musical arabe, qui rejoint ainsi d’autres, comme la Rumba congolaise, dont la date anniversaire d’inscription, le 14 décembre 2022, est d’ailleurs curieusement passée inaperçue.
Nouvelle pomme de discorde entre l’Algérie et le Maroc.
On le sait, la question du Sahara Occidental est l’un des nombreux cailloux dans la chaussure du panarabisme. Elle est au cœur du conflit politique et diplomatique opposant les deux pays arabes, voisins du Maghreb : l’Algérie et le Maroc, qui ne cessent de se regarder en chien de faïence, depuis un certain temps. Et alors que, sous d’autres cieux le facteur culturel rassemble les peuples, ici, c’est tout le contraire, il divise. La pomme de discorde étant la paternité du Raï, très populaire dans les deux pays.
En effet, l’Algérie avait déposé un dossier de candidature de ce genre musical auprès de l’UNESCO, qui vient d’être agréé. Dans celui-ci, l’Algérie a allégué que le Raï, qui signifie littéralement « mon opinion », en arabe, est apparu à la fin du 19ème siècle « pratiqué à l’origine au milieu des populations paysannes et des pasteurs nomades des hautes plaines steppiques, de l’atlas saharien à l’Ouest du pays (Algérie) ». Sa pratique aurait gagné les villes, notamment Oran, à la faveur de l’exode rurale. La note de présentation précisant en outre que le Raï s’est imposé au niveau international, grâce à la communauté algérienne installée à l’étranger, principalement en France. Le Maroc, où ce genre musical est également pratiqué, nourrit les mêmes prétentions. D’où le conflit. Le royaume chérifien avait d’ailleurs un moment fait planer la menace d’une candidature parallèle ! Et loin de s’éteindre, l’affaire continue de faire des vagues. L’ambassadeur du Maroc à l’UNESCO Samir Addhare, regrettant « de ne pas avoir pu présenter un dossier commun », étant donné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Chose curieuse, c’est pourtant sur la base d’un dossier commun que quatre pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie) avaient réussi à inscrire le couscous, ce plat à base de grain de semoule, accompagné de viande à l’UNESCO, en 2020.
Cependant, il ne fait aucun doute que les lettres de noblesse du Raï ont été essentiellement écrites par les stars algériennes du genre, à l’instar de Cheb Khaled, Cheb Hasni, ou Cheb Mami.
Pour l’algérien Nasreddine Touil, Directeur artistique et Co-fondateur du festival de Raï d’Oran, « Le débat est clos, des grands artistes marocains reconnaissent eux-mêmes que le Raï est 100% algérien ». Fermez le ban, serait-on tenté d’ajouter !
Pour le Raï, la labellisation, potion magique ?
En comparaison avec son âge d’or du début de la décennie 90, lorsque les stars du Raï préemptaient tous les plateaux télés des émissions musicales, ces derniers temps, ont été plutôt moroses, et c’est un fait. Cette morosité évoque la précarité de toute condition, y compris culturelle, que la convention internationale de l’UNESCO de 1972, relative à la protection du patrimoine mondial culturel et naturel vise, justement à prévenir, notamment du risque de disparition. « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles… Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. » avait alerté l’écrivain français Paul Valery. Et ce d’autant plus que l’extrême « patrimonialisation » des sociétés dites modernes a eu pour conséquence de déprécier, dans l’imaginaire collectif, l’intérêt de tout ce qui n’a pas de valeur marchande, au mépris de la spécificité de la chose culturelle. Nasreddine Touil, précité renchérit : « Cette reconnaissance du Raï va permettre, non seulement de préserver ce patrimoine, mais aussi de restructurer l’industrie musicale et de relancer la production, en faisant revenir sur le devant de la scène les anciens compositeurs, en rouvrant les studios d’enregistrement et en accompagnant la nouvelle génération de chanteurs ».
Quoiqu’il en soit, la labellisation du Raï fraie le chemin de sa renaissance, en lui ouvrant de nouvelles perspectives, dont l’issue dépendra de l’Etat algérien, garant des équilibres culturels. Dès lors des deux choses, l’une : soit cet Etat assume ses responsabilités, via des mesures structurelles adéquates et le Raï est sauvé. Soit, il retourne à ses errements, et alors là, de la montagne de labellisation naitra une souris, dont l’effet, au mieux, sera d’avoir retardé…sa disparition !
Guy Francis TSIEHELA
Chroniqueur musical
Paris France