Banque Mondiale : Le scandale « de trop » qui ébranle l’Institution

La Banque mondiale est à nouveau au cœur d’un scandale. D’après certains analystes, une partie de l’aide aux pays pauvres est régulièrement détournée par les élites africaines qui placent l’argent dévoyé dans les paradis fiscaux. Selon l’étude «Elite Capture of Foreign Aid» réalisée par l’un de ses cadres et deux collaborateurs extérieurs, une partie des financements serait dévoyée par les élites des pays assistés et placée dans des comptes offshore en Suisse, au Luxembourg et dans d’autres paradis fiscaux. Pour Papa Demba Thiam, un économiste Sénégalo-Suisse qui a travaillé pendant 14 ans à la Banque Mondiale, le rapport qui incrimine les dirigeants africains corrompus reflète la réalité. Et comme les décaissements ne se font pas sans avoir obtenu les satisfécits de leurs mises en œuvre, il y a donc forcément des complicités à l’intérieur de cette Institution.

Corruption à tous les étages

Toujours selon cet ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, «la corruption est à tous les étages à la Banque Mondiale. Ses cadres sont présents à chaque étape – de la conception à l’évaluation finale, en passant par le financement par tranches – de tout projet ». Cette étude était prête depuis novembre 2019 mais, pour la direction, les conclusions étaient trop à charge. Elle serait restée éternellement dans les tiroirs si leurs auteurs (trois économistes ressortissants de pays nordiques, premiers pourvoyeurs d’aide) n’avaient pas fait preuve d’un courage lié à la culture de bonne gouvernance et du respect de la loi dans leurs pays. C’est seulement lorsque l’un des auteurs l’a publiée sur son propre site internet, faisant éclater le scandale au grand jour, que la Banque Mondiale l’a adoptée et l’a finalement fait paraître le 18 février, non sans avoir nuancé certains propos. C’est dans le sillage de cette affaire que sa cheffe économiste Pinelopi Goldberg a démissionné de son poste.

Une bureaucratie qui étouffe les initiatives

Ce n’est pas la première fois que la Banque Mondiale est confrontée à un tel scandale. Pour ne pas rester les bras croisés, elle avait mis en place une unité spécialisée dans la lutte contre la corruption. Une unité qui traque les pots-de-vin dans l’exercice d’appel d’offres pour des projets financés par elle. Mais une unité à l’efficacité mitigée. L’économiste sénégalais signale à ce propos que des centaines de collaborateurs de la Banque Mondiale, originaires d’Afrique et d’Asie, se complaisent dans leurs rôles respectifs par peur d’être licenciés. « Ils préfèrent garder leur emploi de fonctionnaire international avec les privilèges (le salaire moyen est de 15 000 dollars, sans taxe) qui vont avec, y compris le permis de séjour aux Etats-Unis. Pour certains, il est impensable de sacrifier leur emploi dans la mesure où leurs enfants sont scolarisés aux Etats-Unis ou ont des prêts à rembourser ». Et d’ajouter : « Le système se nourrit de lui-même et tous les maillons sont solidaires ».

Pour Papa Demba Thiam, qui dit connaître le mal de l’intérieur, la bureaucratie étouffe les initiatives. « Des lanceurs d’alerte sont censurés et dans certains cas, ils sont licenciés sous des prétextes divers », accuse-t-il. Il regrette que des collaborateurs n’aient pas le courage de dénoncer leurs collègues ou leurs supérieurs. Ce scandale, qui est certainement un de trop, a amené certains à émettre des souhaits d’une réforme de cette Institution, de façon à la faire fonctionner comme une banque commerciale, autrement dit « prêter uniquement pour financer des projets solides et avérés, mais surtout promouvoir en Afrique une politique d’industrialisation fondée sur les matières premières locales, sur l’industrialisation, avec des partenaires qui acceptent qu’une partie de la valeur ajoutée revienne au continent ».

Alain Bengono et Martin Mbita

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