L’opération de déguerpissement s’étend au Carrefour Sni-Owendo, entre larmes et urgence urbaine
La vaste campagne de libération des espaces publics lancée par les autorités dans le Grand Libreville atteint un nouveau seuil. Après les secteurs de Plaine-Orety, Derrière-l’Assemblée, Derrière-l’ambassade de Chine et les Bas-de-Gué-Gué, c’est désormais au tour des habitants et commerçants du Carrefour Sni-Owendo et des Charbonnages de faire leurs bagages. Un ultimatum de 72 heures, marqué au pochoir rouge « ADM 72 heures » sur les murs, sonne le glas de leurs activités et habitations.
Une atmosphère lourde d’incertitude et de désolation
Lundi 23 juin, le site du Carrefour Sni, notamment la zone derrière « Prix Import », baignait dans une ambiance de tristesse palpable. Le sceau « ADM 72 heures », apposé sur la majorité des bâtisses, signe une condamnation sans appel : commerces et habitations doivent être évacués sous trois jours, avant une démolition certaine. Scènes de précipitation obligent, les locataires, essentiellement des commerçants, s’activaient déjà à emballer à la hâte leurs marchandises.
Détresse et incompréhension chez les « déguerpis »

Commerçants démunis : Tout s’effondre en trois jours ! « Où vais-je stocker ma marchandise ? Où vais-je nourrir ma famille demain ? », s’indigne un épicier, les bras chargés de cartons. « On nous parle de modernisation, mais on nous laisse sur le trottoir sans solution. C’est notre gagne-pain qui part en poussière. »
Propriétaires résidentiels désemparés : Pour les propriétaires de maisons d’habitation, le choc est encore plus brutal. « Cette maison, c’est toute ma vie, mes économies. On ne nous a rien proposé, pas de terrain de recasement, rien. Juste ce tampon et 72 heures pour tout perdre », confie, les larmes aux yeux, une mère de famille devant sa cour. « Moderniser oui, mais détruire des vies sans filet, est-ce vraiment le progrès ? »
La voix des autorités : Nécessité d’ordre et de modernité
Face à cette détresse, les autorités communales et gouvernementales défendent une opération présentée comme indispensable à l’embellissement et à la modernisation de la capitale.
Un responsable de la Communauté Urbaine, sous couvert d’anonymat, rappelle les motifs : « Ces occupations sont illégales et souvent anarchiques. Elles empiètent sur les voies publiques, génèrent des problèmes d’insalubrité, de circulation et parfois d’insécurité. Libérer ces espaces est crucial pour le développement ordonné de Libreville et des projets structurants sont prévus pour ces zones. »L’argument de la lutte contre l’habitat insalubre et la sécurisation des emprises publiques est également mis en avant. L’urgence des 72 heures est justifiée par la nécessité de « passer à l’action rapidement » pour respecter le calendrier de restructuration urbaine, bien que cette brièveté soit vivement critiquée par les concernés.
Entre urgence sociale et impératif d’urbanisme
L’extension des déguerpissements au Carrefour Sni-Owendo cristallise ainsi le difficile équilibre à trouver. D’un côté, une volonté affichée des pouvoirs publics de faire de Libreville une vitrine moderne, conforme aux standards d’une capitale du 21ème siècle, impliquant un cadre de vie assaini et un urbanisme maîtrisé. De l’autre, une réalité sociale crue : des centaines de familles et de petits entrepreneurs plongés dans une précarité immédiate, dénonçant un manque d’accompagnement et de solutions alternatives concrètes dans un délai aussi contraint.
Alors que les pelleteuses se rapprochent, la question des jours suivants pour les « déguerpis » de Carrefour Sni-Owendo reste entière, posant avec acuité le défi de la justice sociale dans la marche vers la modernisation de la ville.