Éditorial : Iran-Israël, une escalade aux portes de l’abîme
Depuis quelques jours, le monde retient son souffle face à l’échange de frappes directes entre l’Iran et Israël, une première dans l’histoire des deux nations. Ce qui n’était jusqu’ici qu’une guerre par procuration, menée dans l’ombre des fronts syriens, libanais ou yéménites, bascule dans une confrontation ouverte. En Afrique comme ailleurs, nombreux sont ceux qui y voient les prémices d’un embrasement plus large, voire d’un conflit mondial. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, où cela nous mène-t-il ?

Les racines d’une haine ancienne
Le conflit entre Téhéran et Jérusalem ne date pas d’hier. Il puise ses origines dans la révolution islamique de 1979, qui a transformé l’Iran en une République théocratique farouchement opposée à l’existence d’Israël. Les slogans « mort à l’Amérique, mort à Israël » scandés chaque semaine lors des prières du vendredi ne sont pas que de simples slogans : ils incarnent une idéologie où la destruction de l’État hébreu est un objectif sacré. De son côté, Israël, entouré d’ennemis, considère l’Iran comme une menace existentielle, surtout depuis que ce dernier développe un programme nucléaire et arme des groupes comme le Hezbollah ou le Hamas. Les assassinats ciblés de scientifiques iraniens, les cyberattaques contre les installations nucléaires et les frappes israéliennes en Syrie contre des convois d’armes ont alimenté, année après année, une spirale de vengeance.
L’étincelle qui a tout embrasé
L’attaque du 1er avril 2024 contre le consulat iranien à Damas, attribuée à Israël, a servi de catalyseur. Pour Téhéran, c’était une provocation de trop : frapper un bâtiment diplomatique, c’est toucher à la souveraineté même de l’Iran. La réponse, sous forme de plus de 300 drones et missiles lancés le 13 avril, était sans précédent. Mais elle était aussi soigneusement calculée : annoncée à l’avance, elle a permis à Israël et à ses alliés d’intercepter la quasi-totalité des projectiles, limitant les dégâts. Puis est venue la riposte israélienne, plus discrète mais tout aussi symbolique : une frappe près d’Ispahan, cœur du programme nucléaire iranien. Un avertissement clair : « Nous pouvons vous toucher là où ça fait mal.»
Le monde sur le fil du rasoir
Cette escalade inquiète parce qu’elle échappe partiellement au contrôle des acteurs eux-mêmes. Les deux camps affichent une détermination sans faille, mais aucun ne veut une guerre totale. L’Iran, affaibli par des sanctions économiques et des contestations internes, n’a pas les moyens d’un conflit prolongé. Israël, malgré sa supériorité militaire, sait qu’une guerre ouverte déclencherait des hostilités sur tous ses fronts (Gaza, Liban, Syrie).
Pourtant, le risque de dérapage est réel. Chaque frappe, chaque déclaration belliqueuse réduit la marge de manœuvre. Et dans cette partie d’échecs où les pions s’appellent Hezbollah, Houthis ou groupes armés irakiens, une erreur de calcul pourrait embraser toute la région.
Quelles perspectives ?
Trois scénarios se dessinent :
- Le statu quo explosif : Les deux camps reviennent à leur guerre de l’ombre, évitant soigneusement l’affrontement direct, mais continuant à s’affaiblir mutuellement par proxies interposées.
- L’escalade incontrôlée: une nouvelle frappe trop violente, une attaque surprise, et le conflit bascule dans l’inconnu, avec un risque d’intervention des grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine).
- La médiation internationale: les acteurs régionaux (Qatar, Oman) ou les Occidentaux poussent à une désescalade, comme après les frappes iraniennes. Mais cette voie semble fragile, tant la méfiance est profonde.
L’Afrique, comme le reste du monde, a raison de s’inquiéter. Dans un contexte où les alliances se redessinent (rapprochement Iran-Russie, normalisation arabe avec Israël), où les équilibres géopolitiques tremblent, ce conflit pourrait bien être le premier acte d’un drame bien plus large. Reste une question : les belligérants sont-ils prêts à payer le prix d’une guerre qu’ils ne peuvent peut-être pas gagner ? La réponse, malheureusement, est entre les mains de ceux qui, depuis des décennies, jouent avec le feu.