Editorial : École gabonaise : L’usine à diplômes ou l’atelier de la nation ?
À l’heure où notre système éducatif national livre le verdict des examens nationaux, la rédaction d’AfrikInternews questionne dans son éditorial de la semaine, la problématique de l’éducation et de la formation dans la société gabonaise.
Par Ismaël Obiang Nze

C’est l’heure sacrée ! L’air du Gabon vibre d’une angoisse et d’une espérance particulière. Comme chaque année, la machine administrative crache ses verdicts : les résultats du baccalauréat tombent. Des noms défilent, des cris de joie éclatent, des larmes coulent. Une génération entière se voit, en théorie, propulsée sur le chemin de « l’élite ». Mais au fait, quelle élite ? Pour faire quoi ? Et surtout, pour qui?
La question mérite d’être posée, avec un zeste de cette satire qui pique mais éclaire. Car le système éducatif gabonais ressemble de plus en plus à un étrange rite. Imaginez une grande usine. À une extrémité, on engouffre des cohortes d’enfants pleins de rêves et de curiosité brute. À l’autre bout, on sort… des détenteurs de parchemins. Entre les deux ? Un processus complexe de moulage, où l’on martèle des théorèmes oubliés dès juillet, où l’on enseigne avec ferveur l’histoire des rois de France mais où la mécanique d’un moteur ou les subtilités de la permaculture restent des mystères ésotériques.
L’école, pour qui ?
Pour le parent : Souvent, un investissement. Un ticket pour la respectabilité sociale. « Mon enfant est au lycée ! » puis « Mon enfant a son bac ! » Un trophée à exhiber, un poids lourd de moins sur le dos (enfin, jusqu’à l’université, autre gouffre). L’école comme ascenseur social individuel, coûte que coûte.
Pour l’élève : Le plus souvent, un marathon harassant vers le sésame ultime : le bac. Objectif : survivre aux interros surprises, grappiller des points, éviter le redoublement, décrocher le papier. La soif d’apprendre ? Souvent étouffée sous la pression du résultat et des méthodes archaïques. On forme des bêtes d’examen, pas forcément des esprits critiques ou des mains habiles.
Pour l’État ? Ah, voilà la quadrature du cercle ! En théorie, l’école devrait être l’atelier de la nation. L’endroit où l’on forge les citoyens éclairés, les techniciens compétents, les entrepreneurs audacieux, les agriculteurs innovants dont le Gabon et l’Afrique ont un besoin criant. En pratique, elle fonctionne trop souvent comme une usine à fabriquer les futurs diplômés déconnectés. On produit en série des licenciés en droit, en lettres, en sciences humaines, qui rejoignent les rangs déjà longs des demandeurs d’emploi, tandis que les chantiers manquent de soudeurs qualifiés, les hôpitaux d’infirmiers spécialisés, les campagnes d’agronomes pragmatiques.
L’école, pourquoi ? La finalité sociale en égarement
Le but ultime ne devrait-il pas être de servir la société qui l’a créée ? De résoudre ses problèmes, de répondre à ses défis ? Nous avons besoin d’une élite, certes, mais d’une élite utile. Pas d’une caste de privilégiés bardés de diplômes qui parlent un français châtié mais ne savent ni créer une entreprise viable, ni réparer un panneau solaire, ni penser des solutions locales à la déforestation ou à la gestion des déchets.
Le Bac, nouveau rite de passage tribal : On sacrifie des années de jeunesse sur l’autel d’un examen dont la réussite ouvre les portes… d’un chômage souvent tout aussi prestigieux. La cérémonie de proclamation ? La danse moderne de la survie sociale. Souvent même on dépense des fortunes à former à l’étranger (quand on le peut), des cerveaux qui parfois ne reviennent pas, pendant qu’on forme sur place une « élite » locale qui, faute de débouchés concrets et d’enseignement adapté, rejoint le chœur des frustrés diplômés.
Ironie amère. On assiste donc à l’émergence d’une sorte d’école-tour d’ivoire : isolée des réalités économiques, sociales, environnementales du pays. On y apprend à disserter sur les Lumières, mais pas à monter un business plan pour une coopérative agricole. On y parle de Victor Hugo, mais pas des techniques d’irrigation économes en eau. Un décalage grotesque auquel s’ajoute, le culte du parchemin qui signifie avoir le papier prime sur savoir-faire. On vénère le diplôme comme une fin en soi, une amulette magique, même s’il ne correspond à aucune compétence valorisable sur le marché local ou au service du développement communautaire.
Alors, l’école gabonaise, africaine, pour qui et pourquoi ?
Il est urgent de sortir de l’auto-congratulation annuelle autour des taux de réussite au bac. Ces résultats ne sont qu’une étape. La vraie question est : à quoi serviront ces lauréats ? À quoi les avons-nous vraiment préparés ?
L’école doit cesser d’être une usine à reproduire une élite déconnectée pour devenir le creuset d’une élite ancrée, compétente et serviable. Une élite qui sait penser avec ses mains et agir avec sa tête. Une élite qui ne parle pas seulement comme à Paris, mais qui comprend les langues et les besoins de Lastourville, de Lambaréné ou de Medouneu.
La finalité sociale de l’éducation n’est pas de produire des chômeurs instruits ou des exilés talentueux. Elle est de bâtir la nation, ici et maintenant, avec les outils intellectuels, techniques et éthiques adaptés à ses défis. Sinon, à quoi bon proclamer des résultats, si c’est pour constater, année après année, que le véritable examen, celui de la pertinence et de l’utilité sociale de notre système éducatif est un échec cuisant ?
L’école pour qui ? Pour le Gabon. Pourquoi ? Pour le construire, enfin. Le reste n’est que littérature… et gaspillage d’un potentiel immense. La satire, parfois, n’est que la vérité qui se met à danser, un peu trop crûment. Il est temps d’écouter la musique.