Éditorial : Le Gabon post-transition, entre espoirs et écueils
Un vent nouveau… ou un recyclage habile ?
Le Gabon, après 56 ans de règne dynastique des Bongo, a tourné une page historique avec l’arrivée au pouvoir du général Brice Clotaire Oligui Nguema. Porté par une popularité initiale et un discours de rupture, le nouveau président incarne à la fois les espoirs d’un renouveau et les doutes d’un système qui peine à se réinventer. Entre réformes audacieuses et héritages encombrants, le bilan de cette transition mérite un examen nuancé – et, pourquoi pas, une pointe d’ironie bienveillante.
Par, Ismaël OBIANG NZE
Les forces du nouveau pouvoir : la stratégie du « C’BON »
Oligui Nguema a surfé sur une vague de soulagement post-Bongo, avec un plébiscite électoral (94,85 % des voix) qui ferait pâlir les démocraties les plus rodées. Son slogan, « C’BON » (jeu de mots entre ses initiales et l’expression « c’est bon »), résume une communication habile : promesses de transparence, lutte contre la corruption, et diversification économique. Les Gabonais, lassés des coupures d’électricité et des dettes abyssales, ont cru et croient certainement toujours à la magie du changement.
Des réformes symboliques et concrètes
-Nationalisation des ressources : Le rachat des actifs pétroliers étrangers (comme ceux de Tullow) et l’interdiction des exportations de manganèse brut d’ici 2029 visent à valoriser les ressources locales.
-Assainissement financier : Le remboursement partiel de la dette et la création de fonds stratégiques montrent une volonté de redressement, même si le super-ministre Henri-Claude Oyima cumule encore avec la direction de la BGFIBank – un mélange des genres qui interroge.
-Ouverture politique : L’intégration d’opposants (comme Alexandre Barro-Chambrier) et de figures de la société civile dans le gouvernement tranche avec l’ère Bongo.
- Diplomatie pragmatique
Contrairement aux putschistes anti-français du Sahel, Oligui Nguema a maintenu des relations cordiales avec Paris, tout en diversifiant ses partenariats (notamment avec la Chine, à qui l’on doit le stade d’Angondjé, temple de son investiture). Un équilibriste en costume, en somme.
1-Les faiblesses : l’ombre des paradoxes
Si la transition a évité la répression violente, les élections ont été marquées par la disqualification de candidats clés (comme Jean Rémy Yama) et un scrutin où le principal challenger, Alain-Claude Bilie-By-Nze, n’a recueilli que 3 % des voix . La suppression du poste de Premier ministre concentre tous les pouvoirs entre les mains du président – une verticalité qui rappelle fâcheusement l’ancien régime .
- Corruption : le serpent de mer
Oligui Nguema,a lancé une opération « mains propres » sans résultats palpables sur le terrain . Les procès des Bongo (Sylvia et Noureddin) font office d’exutoire, mais la question des biens mal acquis reste un angle mort .
- Électricité et emploi : Les coupures persistent, et le chômage des jeunes avoisine les 40 %
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Dette publique : Elle atteint 80 % du PIB, malgré les emprunts sur les marchés internationaux .
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inégalités : Le Gabon, pays riche en ressources, compte encore 34,4 % de pauvres – un paradoxe qui résiste même aux slogans rassembleurs .
Un pouvoir en sursis ?
Brice Oligui Nguema a hérité d’un pays en lambeaux et a su en incarner la lueur d’espoir. Mais entre les promesses et la réalité, le fossé reste profond. Son habileté politique est indéniable. Reste à savoir si ce pouvoir, conquis par les armes et légitimé par les urnes, saura transformer l’essai – ou s’il ne sera qu’un nouveau chapitre d’un livre déjà trop lu : celui des Strongman africains.
« C’BON » pour l’instant… mais jusqu’à quand ?