vendredi 26 décembre 2025
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La tragédie de Cameron, ou l’art du silence en trois actes

Dans la « nouvelle République », le carnet de commandes des meurtres d’enfants semble, lui, toujours bien ouvert. Le dernier client s’est manifesté le 17 décembre, pour une course basique : l’assassinat de Pascal Cameron Ngueba Loko, 13 ans.

Acte I : Le vaudeville de l’inaction

Le scénario est d’une simplicité bureaucratique éprouvée. Un enfant disparaît à quelques mètres de chez lui. Pendant cinq jours, l’État, avec toute la force publique dont il dispose, impose un silence radio magistral. La famille et les voisins jouent les seuls rôles dans une pièce de recherche désespérée, tandis que les forces censément « de défense et de sécurité » semblent répéter un autre spectacle, celui de l’inertie. Le public, à savoir la population, est laissé dans le noir, nourri au régime strict des rumeurs sur les réseaux sociaux, jusqu’à ce que la mère ne découvre elle-même le corps de son fils. Un scandale où l’État délègue avec brio le travail de police aux familles éplorées. Une économie de moyens remarquable.

 

Acte II : Le grand oral du parquet

Vient alors le temps de la communication, ce moment où l’on passe du silence assourdissant à la parole rassurante. Le parquet daigne enfin « sortir de sa réserve ». On apprend ainsi, avec toute la solennité requise, que l’enfant a une fracture de la nuque et qu’il n’a pas été mutilé, écartant — provisoirement — la piste des « crimes rituels ». Quatre suspects sont interpellés. Le procureur promet que « toute la lumière sera faite ». La formule est belle, classique et rassurante. Elle fait écho aux promesses de rupture de la nouvelle ère. On se croirait presque au théâtre de l’absurde, où la promesse de vérité est le seul élément de décor récurrent dans un paysage judiciaire par ailleurs désertique. Une ONG rappelle d’ailleurs poliment à l’État ses engagements à protéger les enfants, comme un professeur ferait la leçon à un élève distrait.

Acte III : Le chœur des promesses non tenues

C’est ici que la satire vire au tragique, car la pièce n’est pas nouvelle. Le chœur des commentaires citoyens, sur les réseaux sociaux, en connaît déjà la fin probable : « L’histoire-là va passer comme celle de la petite Esther ». Esther, violée et assassinée en août dernier, dont on attend toujours la vérité. Berre, une autre enfant disparue « depuis des mois ». La liste des drames non élucidés forme un répertoire sinistre qui sape toute crédibilité aux beaux discours. Car en réalité selon l’opinion publique à Libreville « Les condoléances sont à applaudir mais elles ne ramèneront jamais Cameron ».

Les politiciens entrent en scène. L’opposant Alain Claude Bilie By Nze lance : « Qui aurait pu imaginer qu’avec des militaires au pouvoir, des enlèvements et assassinats non élucidés se multiplieraient de la sorte ? ». Une question rhétorique  mordante, alors que la transition se targuait de rétablir l’ordre. Pire, la Coalition pour la Nouvelle République (CNR) monte le ton, dénonçant une insécurité qui croît « en dépit de l’augmentation considérable, chaque année, des budgets » alloués à la sécurité. Le chef-d’œuvre ultime : dépenser plus pour protéger moins. L’avertissement est sans fard : « le peuple gabonais ne restera pas indéfiniment les bras croisés ».

Le pays dans les coulisses

Alors, que reste-t-il ? Un pays à la croisée des chemins, tiraillé entre la peur qui ronge les foyers — « je vis dans la peur… j’ai peur parce que l’inconnu nous guette » — et la colère qui gronde sur la place publique. Le meurtre de Cameron n’est pas un fait divers, c’est la répétition générale d’une tragédie nationale où l’État joue les figurants. La « justice spectacle » dont parle un acteur civique risque fort de n’être qu’un théâtre d’ombres, où seuls les petites mains payent, pendant que les commanditaires, protégés par le grand rideau de l’impunité, s’éclipsent dans les coulisses du pouvoir.

L’affaire Cameron est donc bien plus qu’un crime. C’est la mesure cynique du fossé entre les promesses solennelles d’une nouvelle République et la réalité sordide d’un système où la vie d’un enfant peut toujours devenir une simple monnaie d’échange. Le rideau est tombé sur le drame familial, mais la pièce politique, elle, est une comédie sinistre qui continue. Et le public, exaspéré, commence à siffler.

 

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