samedi 20 décembre 2025
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Gabon : Le Mvet rejoint le patrimoine mondial de l’Unesco, une victoire pour la culture

Dans une décision attendue et saluée, l’Unesco a inscrit le Mvet Oyeng, art musical et tradition orale des peuples Ekang, sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cet acte, posé lors de la 20e session du Comité intergouvernemental en Inde, couronne plus de deux décennies de combat mené par des gardiens de cette culture, dont le conteur Tsira Etoughe Ndong.

Derrière cette reconnaissance internationale se cache une histoire personnelle de résilience et de transmission. Très jeune, Tsira Etoughe Ndong a dû prendre la relève de son père, Ndong Essono, grand diseur de Mvet disparu en 1989, et fut consacré par ses oncles paternels comme héritier légitime d’un art alors déjà menacé.

Pour se rendre à la cérémonie de New Delhi, le conteur a dû compter sur le soutien de mécènes privés, l’État gabonais ayant déclaré son incapacité financière à soutenir sa mission. Un paradoxe pour une victoire qui, selon lui, appartient à tout un pays.

Une tradition vivante et plurielle

Le Mvet Oyeng est bien plus qu’une simple musique. C’est une pratique culturelle globale du peuple Ekang, associant le chant d’épopée, la danse et le jeu d’un instrument à cordes traditionnel. L’Unesco souligne que le terme désigne à la fois les histoires, le conteur, l’instrument et le musicien.

Cette tradition se décline en deux formes distinctes: une forme sacrée, utilisée lors d’événements importants et transmise par un processus d’initiation strict et une  forme populaire, plus flexible, présentée lors de célébrations publiques et de spectacles modernes.

Cette pratique mobilise toute une communauté, des performeurs aux artisans qui fabriquent les instruments, en passant par les sponsors qui organisent les événements. Elle se transmet principalement de manière informelle, par l’apprentissage rituel et la pratique.

Le long combat d’un héritier

Dans le salon de sa maison, où quelques airs de Mvet ont résonné avant l’entretien, Tsira Etoughe Ndong raconte le chemin parcouru. Sa motivation est née d’un constat amer fait sur les bancs de l’université en 1997.« Quand je suis allé à l’Université en 97, j’ai fait l’amer constat de la disparition des diseurs du Mvet connus. Je me suis dit ce n’est pas possible. Pour sauver le déclin de ce patrimoine culturel, j’ai entrepris une démarche auprès de l’Unesco pour immortaliser le Mvet. C’est donc l’aboutissement de plus de 20 ans de combat. L’inscription du Mvet au patrimoine immatériel de l’Unesco n’est pas l’affaire d’une communauté, c’est pour tout le Gabon », explique le conteur.

Ce témoignage souligne le caractère urgent de sa mission : préserver une mémoire collective en péril.

Des attentes tournées vers l’avenir

Cette inscription ouvre la porte à de nouveaux projets de valorisation. Thérèse Etoughe, Mvettophile, voit dans cette reconnaissance un levier formidable pour ancrer la tradition dans l’éducation des jeunes générations.

« Les attentes sont nombreuses. Le président le disait encore dans l’un de ses discours : il faut qu’on reparte aux sources. Un peuple sans culture est un peuple sans vie. Alors, si au nombre des cultures que nous détenons au Gabon par la pluralité des ethnies, on pouvait réussir à les sauvegarder comme ça, je pense que c’est le Gabon qui gagnerait. Donc le Mvet finalement reconnu par l’Unesco nous offre le crédit de le proposer dans les programmes scolaires », espère-t-elle.

Son souhait rejoint l’une des valeurs fondamentales du Mvet identifiées par l’Unesco : la transmission de l’histoire locale, de la langue et des valeurs communautaires, qui favorise le respect, la coopération et la paix.

La portée universelle d’un art africain

Au-delà des frontières gabonaises, cette inscription est perçue comme une reconnaissance philosophique majeure. Pour le journaliste et anthropologue Louis-Philippe Mbadinga, elle dépasse le simple cadre culturel.

« C’est la consécration d’une civilisation de la parole. C’est également la reconnaissance que le peuple africain n’est pas sans histoire, il n’est pas sans philosophie, mais bien au contraire, le peuple africain est particulier. Même si le Mvet appartient à l’Afrique, c’est également le rendez-vous de l’universel. Dans ce village planétaire, il faut que l’Afrique soit présente avec son identité », analyse-t-il.

Cette perspective résonne avec le rôle social du Mvet, qui renforce les liens communautaires et contribue à préserver l’identité et la mémoire partagée du peuple Ekang.

Un spectacle total

Une séance de Mvet est une expérience sensorielle et narrative immersive. Elle met en scène un homme, seul et debout, capable d’un spectacle en solitaire pouvant durer plus de dix heures.

Son apparence est saisissante. Il est vêtu d’une tenue de scène composée d’un panache de plumes d’oiseaux multicolores sur la tête, de grands colliers en diagonale sur le torse et de brassards en peaux de bêtes tachetées qui accentuent chaque mouvement. Un grand pagne, noué à la taille, descend jusqu’aux chevilles. Chaque balancement du corps fait virevolter ces ornements, et chaque pas est rythmé par le crépitement des sonnailles attachées à ses chevilles.

Cette performance n’est pas un monologue. Comme le précise la description de l’Unesco, le public y participe activement en tapant des baguettes de tambour ou en frappant dans ses mains, en chantant et en dialoguant avec le conteur.

Les récits du Mvet Ekang, dont le thème principal est la quête de l’immortalité dans un monde mythique où les mortels occupent les trois quarts de la planète Mvett, trouvent ainsi une nouvelle forme d’éternité grâce à cette inscription au patrimoine mondial. Une victoire qui, pour ses gardiens, est le début d’une nouvelle ère de transmission et de fierté partagée.

 

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